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notre siècle qu’avec aucun autre, et ne lui est pas moins indispensable. Cette argumentation ne constitue nullement, j’en conviens, une démonstration en forme des vérités chrétiennes ; mais elle suffit pour écarter, comme on dit dans la langue des juristes, les exceptions préalables tirées contre elles du cours des temps ou du développement des lumières. C’est tout ce que M. Guizot se proposait dans le présent essai, et nous pensons qu’il eût été difficile de mieux atteindre son but.

Une question naît pourtant dans l’esprit du lecteur, et la forte simplicité de la démonstration de M. Guizot ne la rend que plus curieuse et plus puissante. Si l’accord entre l’esprit de notre société présente et les vérités chrétiennes n’est arrêté par aucun obstacle essentiel, d’où vient que cet accord est si difficile à établir, et, quand il paraît régner par intervalle, si prompt à s’ébranler ? Otons les voiles et les périphrases, sortons des généralités qui ne trompent personne, allons droit aux réalités qui nous touchent. D’où vient entre la société française, qui est certainement la plus complète expression de l’esprit moderne, et la grande église, que M. Guizot me permettra bien de considérer comme la plus éclatante représentation de la foi chrétienne, cette méfiance mutuelle, qui subsiste même dans des jours de paix apparente, et qui de loin en loin éclate par de douloureux conflits ? D’où viennent tant de récriminations, parfois même tant de malédictions des deux parts ? Quel mal caché entretient l’ardeur de deux écoles aussi acharnées l’une que l’autre, l’une se livrant avec orgueil à toutes les espérances des temps nouveaux, l’autre attachée avec ténacité aux moindres traditions de l’antique église, et qui n’épargnent ni un jour, ni une occasion, ni un effort pour élargir le fossé qui les sépare ? M. Guizot connaît bien la gravité du mal dont je parle, il le constate, ne fût-ce que par la peine qu’il prend pour l’atténuer et par les encouragemens qu’il prodigue à ceux qui concourent avec lui à cette œuvre de pacification. — Ils sont nombreux, ils ont été illustres et variés, ces coopérateurs de M. Guizot, à remonter jusqu’au commencement de ce siècle, et à commencer par l’auteur du Génie du Christianisme. D’où vient que, depuis quatre-vingts ans qu’ils travaillent, leur succès, sans être nul, ne répond pas à leur espérance ? On n’a pas tout dit quand on a imputé la cause de ce désaccord, tantôt secret, tantôt public, mais trop réel, à des fautes et à des préjugés des deux parts, à l’orgueil des demi-savans, à l’intolérance des faux libéraux, comme aussi à l’esprit étroit, exclusif, de quelques-uns des sectateurs ou même des chefs de l’église catholique. Je ne discute ni ne conteste la valeur de ces raisons, qui ont toutes leur part de vérité et d’importance. Les torts et les faiblesses des hommes