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soi-même, qui pour personne n’a rien de rassurant, c’est au contraire un désir désintéressé par excellence ; c’est l’impatience de voir, fût-ce à nos risques et à nos dépens, la justice apparaître dans tout son éclat, dans l’intégrité de sa puissance, telle que notre raison en conçoit l’idéale perfection, telle que notre regard n’en aperçoit ici-bas qu’un pâle reflet. Nous voulons la contempler face à face et telle qu’elle est, facie ad faciem sicuti est, fût-ce au travers des foudres et des éclairs. Une soif d’équité éveillée dans nos cœurs avec leurs premiers battemens, mais toujours trompée sur cette terre de confusion et de rapine, veut enfin être assouvie quelque part. Nos oreilles ont été trop longtemps déchirées par les gémissemens des opprimés, et nos yeux offusqués par le triomphe des oppresseurs ; il faut que ce scandale ait son terme avec son explication. Dussions-nous être compris nous-mêmes et frappés dans la rétribution divine, il faut que la justice nous donne, en se vengeant, le secret de sa longue patience. Nous voulons pouvoir dire à l’ordre du monde, suivant les paroles du psalmiste : Vous êtes justifiés dans toutes vos voies, et vos jugemens sont victorieux, ut justifîceris in sermonibus tuis et vincas eum judicaris. Otez-nous cette espérance, et l’idée même de la morale dénuée d’un de ses élémens essentiels demeure comme une équation privée d’un de ses termes, dont l’inconnue ne peut plus être déterminée. Le spectacle du crime à jamais impuni et de l’innocence ensevelie dans son sacrifice finira par faire douter la conscience d’elle-même. Elle se lassera d’élever la voix devant des élémens toujours sourds à ses cris, elle se mettra à l’aise à son tour, et l’homme ne fera pas longtemps le métier de dupe d’observer, lui tout seul dans l’univers, une loi perpétuellement et indéfiniment violée.


II

Revenons à la suite des idées de M. Guizot. On voit par cette analyse où il nous a fait arriver. Si la science et la liberté, ces deux biens dont l’un est l’honneur, l’autre la passion souvent malheureuse de notre société moderne, n’ont rien de nécessairement hostile à la religion, — si cette société n’a pas plus qu’aucune de ses devancières trouvé le moyen de se passer soit de la morale elle-même, soit de l’appui que la religion prête à la morale, il n’y a vraiment aucune raison d’affirmer, comme on le fait avec arrogance, que les jours de la foi sont passés, et que les générations qui nous accompagnent et nous suivront, dans la vie peuvent ou doivent s’en affranchir. Le christianisme n’est pas plus incompatible avec