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une parole cordiale à la population réfractaire. Elle en fut vivement touchée, si l’on en croit les écrivains nationaux, pour qui cette lettre est un grand événement. « L’Israël des Alpes, dit l’un d’eux, rendit grâce à l’Éternel, chanta le cantique d’allégresse, et la montagne de Sion se couvrit de feux de joie. » Victor-Amédée II persévéra dans la politique inaugurée par son père; à la date du 4 décembre 1681, on trouve encore un édit qui confirme les édits antérieurs en faveur des vaudois. La dissidence religieuse semble donc un fait légal, accepté désormais par le prince sinon par le sanfédisme d’une partie de son peuple, et les vaudois pouvaient alors espérer que l’épée de la persécution ne s’approcherait plus de leurs retraites séculaires; « mais, dit un écrivain vaudois, les voies de Dieu ne sont pas nos voies, et ces pauvres églises, déjà si éprouvées, étaient alors plus près que jamais d’être anéanties par une catastrophe extraordinaire. » En langage plus clair, Louis XIV venait de révoquer l’édit de Nantes et de déclarer que le protestantisme français avait cessé d’exister. La catastrophe vaudoise fut le contre-coup de la révocation française.


II.

On sait les conséquences de cette grande iniquité. Moins d’un an après, la France avait perdu, d’après les calculs de Vauban, 100,000 habitans, et des meilleurs, 60 millions d’argent monnayé emportés par les proscrits, 9,000 matelots, 12,000 soldats aguerris, 600 officiers, ses manufactures les plus florissantes. Le commerce en fut ruiné, ajoute Saint-Simon, et le quart du royaume sensiblement dépeuplé. La perte morale fut plus grande encore. Cette violation de ce qu’il y a de plus sacré parmi les hommes, de la liberté de conscience, de la famille, de la propriété, à l’égard de 2 millions de Français, altéra la notion des principes essentiels sur lesquels repose la société, et cette perte fut irréparable. Au dehors, le contre-coup fut terrible. Ces milliers d’émigrés s’échappant de la France comme d’un bagne remplirent l’Europe de leurs cris de désolation et de colère. A la vue des tristes épaves de la persécution, le protestantisme, pris d’une haine furieuse contre le persécuteur, se leva en masse sous la conduite de Guillaume d’Orange. Le nouveau roi d’Angleterre réunit bientôt en un même faisceau les haines religieuses et les haines nationales surexcitées par la politique superbe de Louis XIV, et deux coalitions successives infligèrent à la France les désastres et les humiliations qui rendirent si sombres les dernières années du « roi-soleil. »