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Entre les vérités religieuses et les règles morales règne une intimité de telle nature qu’elle ne peut guère se rompre sans faire place à une hostilité déclarée. La langue elle-même témoigne combien l’union est cette fois naturelle autant que nécessaire, car on ne dit pas une science chrétienne ; une médecine chrétienne, une physique chrétienne, une chimie chrétienne, seraient des expressions affectées et bizarres. La morale chrétienne au contraire est une alliance de mots familière et consacrée dont les termes semblent se commander mutuellement. La raison de cette différence n’est pas difficile à trouver : c’est que, tandis qu’entre la religion et la science les points de contact sont rares et peuvent, moyennant quelque précaution, être facilement évités, — avec la morale au contraire ce sont des relations continues et constantes, comme celles de surfaces appliquées l’une sur l’autre, et dont l’adhérence ne peut être détruite sans déchirer les fibres de toutes deux.

Qui ne voit, par exemple, qu’il y a tout un ordre de préceptes moraux qui n’existent qu’à la condition que la religion les consacre, qui disparaîtraient avec elle, et ne peuvent non plus être retranchés du nombre des obligations humaines sans que par cette suppression seule la religion tout entière soit atteinte dans ses fondemens ? Y a-t-il un Dieu ? S’il existe, a-t-il créé le monde et l’homme ? Créés ou non, les gouverne-t-il par sa providence ? Est-il pour sa créature un auteur indifférent, un maître sévère, un juge inflexible, un père miséricordieux ? L’accès auprès de lui est-il possible ? Ses oreilles sont-elles ouvertes ou fermées à nos prières ? son cœur au pardon pour nos fautes et à la pitié pour nos souffrances ? Autant de questions qui déterminent en quelque sorte l’axe de toutes les croyances religieuses, et qui, suivant la réponse qui leur est faite, entraînent des conséquences morales différentes ou même opposées. Point de devoir envers Dieu, si Dieu n’existe pas : c’est trop clair ; mais, s’il existe, ces devoirs seront plus ou moins étroits, suivant que les rapports qu’il soutient lui-même avec ses créatures sont plus pu moins intimes ou tendres. En aucun cas pourtant il ne se peut qu’ils soient absolument nuls. Quoi ! nous aurions ici-bas des devoirs envers les auteurs de notre humble et fragile existence, et aucun devoir ne nous lierait envers l’auteur suprême de notre race commune et de la terre qui nous porte ! La morale nous prescrirait le respect et la soumission envers les législateurs éphémères du petit coin de la terre que nous habitons, et nous n’aurions ni obéissance à prêter ni hommage à rendre au souverain de l’univers ! Une telle inconséquence ne peut être sérieusement soutenue. Dieu, s’il existe, a bien autant de droits à l’amour ou au respect qu’un père ou un roi. Non, une doctrine morale qui se tait sur Dieu n’est