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hypocrite. En s’abstenait, par un respect affecté, de toucher aux questions que la métaphysique pose et que la foi résout, elle insinue (quand elle ne dit pas tout haut) que ces questions sont insolubles, parce qu’aucune expérience de laboratoire ou aucune formule d’algèbre ne leur en a livré le secret. Ce qu’elle ne sait pas, il ne faut pas que personne le découvre par d’autres moyens que les siens ou l’apprenne d’un autre qu’elle.

C’est à cette ignorance hautaine, qui, comme beaucoup de souverains déchus, veut régner encore après avoir abdiqué, que M. Guizot oppose ce qu’il appelle, par une expression très heureuse, l’ignorance chrétienne. C’est l’état d’une âme pleine d’un respect plus sincère et d’un amour plus ardent pour la vérité qui consent à la recevoir d’autrui, quand elle n’a pu la découvrir par elle-même, qui appelle d’abord la philosophie pour compléter et couronner la science, puis, si la philosophie à son tour hésite et s’embarrasse, invoque la foi sans rougir pour subvenir à ces défaillances. Tout ce chapitre sur l’ignorance chrétienne est plein d’une touchante éloquence, et la vérité qui en ressort est celle-ci : c’est qu’on ne doit demander au nom de la foi à la science le sacrifice d’aucune de ses découvertes ; mais ce qu’on a droit d’exiger d’elle, c’est qu’elle ignore tout de bon ce qu’elle confesse ne pas savoir, c’est qu’elle n’essaie pas de tirer en quelque sorte sur elle-même la porte de la vérité pour ne laisser sortir personne par l’issue où elle ne veut point passer, pareille à ces souverains du Haut-Orient qui, ne pouvant étendre indéfiniment leurs conquêtes, élevaient une muraille sur leurs frontières afin d’empêcher au moins leurs sujets d’échapper jamais à leur empire.

C’est donc de la distinction loyalement acceptée entre la science et la foi que M. Guizot espère faire sortir la durée de leur bonne amitié mutuelle. Il pousse même à cet égard le scrupule très loin, car d’une part il est disposé à abandonner à la libre critique de la science toute la partie des textes sacrés qui touche à des faits purement humains et naturels, et de l’autre il reproche un peu sévèrement aux théologiens d’employer trop volontiers les procédés scientifiques pour expliquer les mystères de la foi. Il ne veut ainsi ni intervention du dogme dans l’ordre de la nature, ni intervention de la science dans l’ordre surnaturel. On ne peut apporter plus de générosité et de loyauté à tracer la démarcation des deux domaines. En revanche, dès qu’il s’agit non plus de science, mais de morale, M. Guizot devient beaucoup plus exigeant, et il établit sans hésiter que la condition de la paix est ici précisément opposée. La morale ne peut vivre en bon accord avec la religion que si elle consent à se laisser dominer et pénétrer par cette autorité divine.