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concitoyens à étudier leur humeur pour les conduire, qui l’a convaincu de la nécessité de la foi, et cette conviction acquise par l’usage du pouvoir, quand il la développe avec une éloquence communicative, on dirait qu’il se croit encore à la tribune. Rien donc dans la théologie de M. Guizot de cet air exotique et emprunté qui dépare souvent celle de ses coreligionnaires, mais rien non plus de catholique dans son langage, et c’est un avantage pour la discussion. M. Guizot garde de sa qualité de protestant le profit tout négatif de ne pas soulever certaines méfiances et de pouvoir laisser dans l’ombre à son gré quelques parties de la doctrine chrétienne qui, travesties plus souvent par la mauvaise foi ou par l’ignorance, répugnent plus que d’autres aux sentimens des générations modernes.

C’est là, disons-le, un grand avantage pour la polémique ; nous ne disons rien de plus, et M. Guizot ne s’offensera pas que nous bornions là nos félicitations. Il ne sera pas surpris que certains de ses lecteurs trouvent parfois cette facilité de discussion achetée un peu trop cher. Il sait comme nous ce que Bossuet pensait du système qu’il développe, et qui consiste à faire choix dans le christianisme de certains points fondamentaux pour les défendre exclusivement en abandonnant comme secondaires ceux qui présentent plus de difficultés et moins d’attrait, — système, comme on l’a dit spirituellement, un peu trop large pour ressembler tout à fait à la voie étroite de l’Évangile. Je crois entendre d’ici la voix du grand évêque s’élever pour dire à ce roi de la pensée, comme autrefois au souverain de la Grande-Bretagne : Opto te opud Deum fieri talem qualis ego sum ; puis ajouter dans son magnifique langage : « Ce souhait est fait pour les rois. Saint Paul, étant dans les fers, le fit pour la première fois en faveur du roi Agrippa ; mais saint Paul en exceptait ses liens, exceptis vinculis his, et nous, nous souhaitons principalement de vous voir enchaîné de ces bienheureux liens qui empêchent l’orgueil humain de s’égarer dans ses pensées en le captivant sous l’autorité du Saint-Esprit et de l’église[1]. »

Cette réserve faite, non pour l’acquit de notre conscience, mais pour l’honneur de la vérité indivisible, rien n’empêche tous les chrétiens de constater et même de mettre à profit pour les opinions qui leur sont communes le parti que M. Guizot a su tirer de sa position personnelle. Jamais la force particulière qu’il y puise n’a été plus visible que dans le volume qui est sous nos yeux. Après avoir dans les précédens étudié la nature intime et la partie philosophique du dogme chrétien, M. Guizot aborde dans celui-ci les relations pratiques de la religion avec la génération dont nous

  1. Bossuet. Oraison funèbre de Marie-Henriette, reine d’Angleterre.