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est inquiet d’abord, et déjà le murmure monte aux lèvres, on se trouve rassuré subitement. Le cœur est navré, la raison est satisfaite. Il serait difficile de mieux regarder le péril en face, de le provoquer, de le défier plus témérairement, et de s’en tirer avec plus de bonheur.

Le principal effet des fureurs d’Armand, c’est que la mère a dû céder une seconde fois. Elle avait dit l’autre jour : « Amène-la ; » elle dit maintenant : H Je te la donne, » et Armand, laissant là M. Ernest, s’élance à la poursuite d’Eslher, Le père alors se redresse tout entier ; ce n’est plus le conseiller timide, honteux, la transformation est complète. Dût-il rougir devant son fils, dût-il être contraint de s’accuser en public, il faut arrêter l’imprudent qui va se perdre. Allons chez cette femme, s’écrie-t-il, et nous voici dans la chambre d’Esther. La pauvre fille consomme son sacrifice ; elle adresse en pleurant une lettre d’adieu, d’éternel adieu, à celui qu’elle a tant aimé, à celui dont l’amour a été sa libération et son salut.

 « Je te le disais bien, que ce n’était qu’un rêve ;
Je te le disais bien que nous allions souffrir.
Que dans ma vie, ami, fespoir n’est qu’une trêve,
Et qu’il faut oublier pour apprendre à mourir.
Eh bien ! l’heure est venue, et je souffre et je pleure,
Et je vais te quitter parce que tu m’aimais…
mon Dieu ! c’est donc vrai, c’est donc vrai que c’est l’heure,
Et que je ne dois plus le voir jamais, jamais ?…
C’est pour ton bien, vois-tu. — Ne va pas me maudire,
Ni railler le passé quand tu seras heureux ;
De leur premier amour j’ai vu des gens sourire.
Et ce serait bien mal si tu faisais comme eux…
Si tu penses à moi, plus tard,… par aventure,…
Que ce soit sans dédain, ami. — Je n’étais rien
Qu’une bien misérable et pauvre créature,
Mais va, je t’aimais bien… Oh ! oui, je t’aimais bien !…
Adieu ! Hélas ! Armand, c’est l’heure où d’habitude
Je t’écoutais venir… Oh ! le moment béni !
Oh ! les doux souvenirs, la chère solitude !…
Enfin, laissons cela, puisque tout est fini.
Mais c’est assez… Adieu ! Je trouve tant de charme
À te parler ainsi, qu’il faut bien m’excuser…
Adieu ! Tiens, dans ce coin où tombe cette larme,
Je t’ai mis tout mon cœur dans un dernier baiser ! »

Mais Armand arrive, haletant, éperdu ; il avait craint de ne plus la revoir, il avait craint que le désespoir ne la poussât au suicide. Quelle ivresse de la retrouver et de pouvoir lui dire : « Ma mère a consenti ! » Vaines paroles, espérances trop tardives ! Instruite par l’épreuve (et c’est là une nouvelle justification des hardiesses du poète), instruite