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Il est dans les naïfs ; — Armand réhabilite,
Il refait la vertu de quelque Marguerite,
Qu’il récrépit à neuf et cache… je sais où ;
En ce cas, le plus sage est toujours le plus fou.

Tels sont les trois personnages entre lesquels va s’engager cette lutte douloureuse et tragique, Esther, Armand, Mme  Armand, — la fille déchue qui se relève, le jeune homme qui veut être son sauveur, la mère qui empêchera son fils de se sacrifier à une tâche impossible, et qui pourtant, au milieu de ses angoisses et de ses justes révoltes, ne peut se défendre d’une sympathie secrète pour les deux êtres noblement exaltés dont elle est forcée de briser le cœur. Son rôle est de représenter la loi, c’est-à-dire ici le bon sens et la nature des choses. Quel que soit le repentir, si méritante que soit la réparation, nul ne peut faire que ce qui fut n’ait pas été. Oublier le passé en de telles circonstances, non, la mère ne le peut pas, elle qui, ayant bien réellement charge d’âme, charge de tradition et de famille, est tenue de veiller sur l’avenir. Elle est donc ici la loi même, mais elle l’est avec douleur, avec tendresse, et il y a un instant où elle ne peut soutenir jusqu’au bout la rigueur nécessaire de son rôle. Alors paraît un personnage inattendu, le père, le père déchu, coupable, avili, qui se retrouve dans un éclair d’inspiration, et sort de l’abîme pour arrêter son fils prêt à y glisser. Ce vieillard dégradé que nous signalions plus haut, ce vieux bohème dépenaillé qui garde encore sous les stigmates du vice le vestige des anciennes élégances, c’est le comte de Ryon, c’est le père d’Armand ; il ne l’a su qu’à l’heure même de la crise, et, la mère venant à défaillir, c’est lui qui la remplace, c’est lui qui se décide à faire son devoir pour la première, hélas ! et la dernière fois.

Avec des caractères si franchement, si hardiment conçus, l’auteur pouvait se permettre toutes les audaces. Quand des passions si fortes soulèvent les âmes, qu’importent les bienséances ordinaires ? — Nous sommes en pleine tragédie domestique. Il y a ici des questions de vie et de mort, chacun combat pour un intérêt suprême, chacun s’attribue un droit qu’il considère comme sacré. Il faut donc que l’action, rapide, violente, marche droit à son but. Violenti rapiunt illud. La mère, dès qu’elle connaît le péril de son enfant, court chez cette créature qu’elle croit digne de mépris ; irritée, l’insulte aux lèvres, elle veut rompre du premier coup le piège où est tombé Armand, et l’humilité, la résignation, le désintéressement de la pauvre fille, lui semblent une misérable comédie. Armand arrive ; il relève Esther agenouillée, il supplie sa mère, il éclate. « Vous ne la connaissez pas, vous ne l’avez pas vue comme moi depuis deux ans renaître à la vertu, à l’honneur, au respect, se régénérer par le travail. Si vous la connaissiez bien, vous si bonne, si dévouée !.. Ma mère, faites-en l’épreuve, laissez-moi la conduire sous votre toit, qu’elle