Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/525

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On peut trouver au fond de ce stérile effort,
Car vivre, c’est sentir ; sentir, c’est être fort.
Je me vante bien haut d’être joyeux ou triste.
Je pleure, donc je suis, et je ris, donc j’existe !
Et j’aime, et je l’avoue, et je m’en vante aussi.
C’est peut-être naïf, mais l’on m’a fait ainsi.

ERNEST.

Je m’explique à présent ce sérieux précoce ;
Alors c’est différent, si c’est un sacerdoce.

ARMAND.

Oui, monsieur, c’en est un, et le plus doux qui soit.
Que de sauver une âme en l’élevant à soi,
Et quelque nom plaisant dont le monde le nomme,
Si l’acte est d’un enfant, la pensée est d’un homme.

ERNEST.

Votre vieux maître austère et son enseignement
Ont fait merveille alors. Je vous fais compliment.
— Mais c’est Éliacin ! — Ah ! jeune homme incurable
Croyez-en un vieillard qui n’est pas vénérable.
Mais qui, s’y trouvant mal, connaît bien ce pétrin ;
Vous êtes de province ? Eh bien ! prenez le train.
Le courage en amour consiste dans la fuite.
Et là-dessus, voisin, bonsoir. — Bonsoir, petite.

ARMAND.

Dites madame Armand, monsieur, si vous voulez.

ERNEST.

Quand je vous le disais ! prenez le train, allez !

Ainsi, et c’est là une des émotions de ce drame, l’honnêteté même de ce jeune homme est ce qui va le perdre ; ainsi l’éducation même qu’il a reçue, cet amour si tendre, cette vigilance attentive, le soin qu’on a pris de n’ouvrir son âme qu’aux sentimens les plus généreux, tout cela va tourner contre la mère et détruire son œuvre dès le premier écueil. Elle le sent bien ; à peine a-t-elle appris dans quels liens son fils est engagé, quelle pensée l’y attache, quelle espérance l’y enchaîne, elle sent que l’ennemi pour elle, c’est la générosité de ce noble enfant, cette générosité du cœur et de l’esprit cultivée avec tant de sollicitude. Elle avait eu plus d’une raison pour surveiller ce trésor. Son fils était sa seule joie. Mariée à un gentilhomme sans foi et sans honneur, abandonnée, humiliée, ruinée, la comtesse de Ryon avait été obligée d’aller ensevelir sa douleur dans une humble retraite de province, et là, aidée d’un vieux prêtre candide, elle avait élevé son enfant comme dans un sanctuaire. Armand ne sait même pas le nom qu’il a le droit de porter, il ignore que son père est vivant ; la mère n’a pas voulu que l’exemple des hontes paternelles vînt contrarier son œuvre de réparation. Elle a répudié cet héritage, comme on se met à l’abri d’une influence contagieuse. L’enfant