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ou en Espagne comme en France, nous ne les séparons pas des œuvres de l’esprit. L’histoire contemporaine s’éclaire souvent de toutes les lumières de l’histoire d’autrefois, et c’est ce qui fait le sévère attrait des œuvres qui ne sont pas seulement des récits du passé, qui sont encore de fortes études politiques ; c’est ce qui fait l’intérêt de livres comme l’Histoire de Napoléon Ier, par M. Lanfrey, comme l’Essai sur la révolution et l’empire, de M. le vicomte de Meaux. Les enseignemens de ce passé de révolutions, M. de Meaux les condense dans une série d’analyses d’où se dégage un ferme sentiment libéral. Les annales de l’empire, M. Lanfrey continue à les dérouler d’une main vigoureuse, en homme qui s’est rendu maître de son sujet par une profonde, par une implacable étude, et on dirait, à mesure qu’il avance, qu’une certaine éloquence énergique et un peu âpre s’accentue plus vivement dans ses récits. Dans ce troisième volume, M. Lanfrey arrive, il est vrai, à des épisodes où il n’est pas facile d’être indulgent pour la grande mémoire, au meurtre du duc d’Enghien, au procès de Moreau, à toutes ces choses que ne suffisent pas à couvrir les gloires de la campagne d’Austerlitz. On trouvera certes chez M. Lanfrey de la justice pour le génie militaire de Napoléon, on ne trouvera pas de complaisance pour le politique, pour l’homme qui ne pouvait supporter une contradiction, qui appelait puérilement Mme de Staël « un oiseau de mauvais augure, » dont l’arrivée « avait toujours été un signal de trouble. » Telle est l’éternelle loi d’action et de réaction dans les affaires humaines. Pendant longtemps, on n’a eu que des admirations aveugles pour Napoléon ; aujourd’hui on passe peut-être à l’excès opposé, et le livre de M. Lanfrey, ce livre écrit d’ailleurs avec un grand zèle de vérité, est de ceux qui se ressentent de cette disposition nouvelle de l’opinion. Ce n’est pas seulement une histoire, c’est un signe politique, c’est un symptôme nouveau de cette réaction des esprits libéraux contre ces vastes despotismes qui, en se permettant tout, s’exposent aux représailles de l’avenir.

CH. DE MAZADE.


REVUE DRAMATIQUE.


THÉÂTRE-FRANÇAIS : LES FAUX MÉNAGES,

comédie en quatre actes et en vers de M. Édouard Pailleron.


Au moment où se déroulait devant nous le drame touchant et viril que M. Édouard Pailleron vient de faire représenter à la Comédie-Française sous le titre des Faux Ménages, ému, entraîné comme toute la salle, nous sentions pourtant, — et plus d’un spectateur a dû éprouver une impression semblable, — nous sentions un frémissement d’inquiétude