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rial, c’est qu’il n’y avait pas sans doute entre lui et le gouvernement une incompatibilité absolue. Si à un moment donné il a senti des scrupules de conscience, une résistance intérieure, et s’il s’est cru obligé de donner sa démission, il a tout simplement rempli un devoir, il a pourvu à sa dignité par une résolution qui l’honore ; il n’y a point à exagérer un tel acte. Ce qu’il y a de personnel dans cet incident nous touche peu. Ce qu’il y a de grave dans cette démission, c’est qu’elle est réellement un signe de cet état singulier où le gouvernement ne peut faire un pas sans voir se lever devant lui quelque difficulté nouvelle, et les difficultés qu’on se fait avec la magistrature sont toujours les plus embarrassantes. C’était au reste facile à pressentir le jour où on a introduit la politique dans l’enceinte de la justice par la loi de la presse et par la création de délits mal définis, le jour où l’administration s’est déchargée sur les tribunaux des ennuis d’une répression discrétionnaire. Ce jour-là, le gouvernement s’est créé de grandes tentations et un véritable embarras. S’il trouve dans les magistrats des instrumens dociles marchant au mot d’ordre, il compromet la justice ; s’il trouve des récalcitrans et des rebelles, il fait des héros d’indépendance. Quand donc le gouvernement s’apercevra-t-il que les demi-mesures et les demi-libertés font les situations fausses pour lui-même comme pour les hommes qui le servent, que la politique la plus simple, la plus efficace, c’est encore après tout une liberté franche, entière et sans réticence, où toutes les positions sont nettes, où toutes les responsabilités sont définies ? S’il y avait eu en France un régime de vraie et complète liberté légale, est-ce que la démission de M. Séguier aurait eu ce retentissement ? Elle a fait du bruit comme une de ces bombes dont nous parlions, parce qu’on y a vu un acte d’opposition éclatant sous les pieds du gouvernement, parce qu’elle a mis en relief une fois de plus les faiblesses d’un régime de garanties incertaines et insuffisantes.

Tout est là, dans des garanties nettes et sûres, et le ministre le mieux placé pour apprécier justement, quoique indirectement, l’effet de ces garanties, c’est M. Magne, qui vient de publier son rapport financier, où il décrit l’état des budgets depuis 1867, en esquissant en traits sommaires le budget de 1870, qui va être soumis au corps législatif, et qui sera probablement le principal travail de la session. Le rapport de M. Magne est simple, habile et parfaitement clair, quoiqu’il ait à passer à travers les détails de trois lourds budgets surchargés de toute sorte de budgets rectificatifs, de budgets extraordinaires. Il n’est pas trop optimiste, et il avoue que les mesures adoptées dans la session dernière ne pouvaient « avoir la puissance de transformer instantanément nos difficultés financières en un état de choses florissant ; » il est assez confiant pour ne pas laisser place à des inquiétudes sérieuses. C’est ce qu’on pourrait appeler un exposé financier fait pour l’opinion et pour les élections. Au demeurant, depuis l’an dernier, grâce à l’emprunt, les lois de