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chose qui n’est pas sans gravité : c’est une concurrence inégale créée à tous les journaux par le privilège d’une exemption de timbre. Si ce privilège ne profitait qu’à un bulletin des lois ou des actes du gouvernement, à un recueil des débats parlementaires, il n’y aurait rien à dire ; mais ce n’est plus évidemment cela lorsque le gouvernement se fait adjuger des milliers d’exemplaires pour les distribuer, et que ses agens même des inspecteurs d’académie, se font les courtiers du Journal officiel auprès des instituteurs, sans doute pour les maintenir dans la droite voie. Un autre jour, c’est à propos de tableaux appartenant aux galeries nationales que la lutte se réveille. Il se trouve qu’on a disposé d’un certain nombre de tableaux non-seulement en faveur du Petit-Luxembourg, où réside le président du sénat, mais encore au profit d’un établissement tout privé, d’un cercle que hantaient les personnages de distinction et même les souverains venus à Paris pendant l’exposition. Si on avait dû porter des tableaux partout où sont allés les rois et les princes qui ont visité Paris à cette époque, on aurait eu fort à faire. La raison nous semble un peu leste. M. le surintendant des beaux-arts a dédaigné de s’expliquer sur tout cela, ou du moins il n’a pris la parole et d’une façon très indirecte que pour dire qu’il ne dirait rien. Il paraît que son administration fait partie de la constitution, qu’un sénatus-consulte rend indiscutable. Il est un peu hautain pour les gens de la plume, M. le surintendant des beaux-arts ; il se croirait sans doute atteint dans sa dignité, s’il se mêlait à leurs polémiques, fût-ce pour les redresser. Il est visiblement de ceux qui croient encore vivre à une autre époque. M. le surintendant des beaux-arts, se trompe, il oublie qu’après tout il n’est qu’un fonctionnaire public, et qu’il n’a pas l'administration de nos musées pour son bon plaisir. Si, comme nous aimons à le croire, il a de meilleures raisons que celles qui ont été données jusqu’ici, il n’aurait dérogé nullement en les confiant au public, en daignant se soumettre à cette puissance de l’opinion dont l’empereur lui-même ne fait pas fi, et il eût évité de laisser croire qu’aux yeux du gouvernement un cercle quelconque peut passer pour une succursale de nos galeries.

Qu’on ne s’y trompe pas, des faits de ce genre ou analogues ne sont pas rares ; ils peuvent se reproduire à chaque instant par suite de ces habitudes d’omnipotence qui sont si commodes pour ceux qui ont entre leurs mains une parcelle de pouvoir et qui ont régné si longtemps. Jusque dans ces poursuites exercées contre la presse, est-ce qu’on ne remarque pas souvent ce mélange de légalité et d’arbitraire, cette confusion qui place les juges dans l’alternative d’outrer la répression ou d’étonner par leur indépendance ? Voilà le mal, et sait-on ce qui en résulte pour le gouvernement lui-même ? Des ennuis sans fin et pas un avantage. Pour faire acte d’autorité, il se laisse aller à soutenir des choses qu’il désavoue peut-être au fond, et il a toujours l’air de se contredire. Il se trouve incessamment placé entre les amis qui le com-