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y a ce mouvement incesssant qui se poursuit et s’anime à chaque pas, l’application bruyante de lois nouvelles, le réveil des polémiques ardentes, les petites tempêtes et les brusques révélations, sans compter les crises ministérielles, qu’on ne voit pas toujours venir, et dont on est réduit à déchiffrer l’énigmatique signification. Nous ressemblons en vérité depuis quelque temps à des hommes marchant sur un terrain semé de petites bombes fulminantes partant un peu de tous les côtés et à l’improviste. Les bombes, ce sont tous ces incidens qui se succèdent, qui souvent n’auraient par eux-mêmes qu’une médiocre importance, mais qui prennent un sens, même quelquefois de la gravité, en se coordonnant à toute une situation dont ils sont le produit et le signe révélateur.

C’est le caractère de cette période politique où nous entrons, où l’on pourrait dire que nous nous débattons sans arriver à en éclaircir les confusions. Que signifient tous ces incidens sur lesquels l’opinion se jette passionnément, qu’elle grossit quelquefois, et qui vont alimenter les polémiques, promptes à saisir tous les prétextes ? Ils prouvent que sans révolution, sans secousse violente, il y a depuis quelque temps en France un changement profond que le gouvernement reconnaît en partie, qu’il laisse jusqu’à un certain point s’accomplir, mais dont il ne saisit pas assez le sens et la portée pour que la lutte n’éclate pas parfois entre ce qui s’en va et ce qui vient, entre des habitudes d’autrefois et des goûts de liberté, d’indépendance, devenus plus vifs. Assurément tout ce qu’on dira pourra être relativement vrai. Le gouvernement de l’empire restauré n’est plus ce qu’il était à son origine. Ce qu’il faisait sans crainte dans le silence universel il y a quinze ans, il ne pourrait le faire aujourd’hui. Les assemblées publiques ne sont plus pour lui de simples chambres d’enregistrement ; il se préoccupe maintenant de ce qu’elles penseront, de ce qu’elles diront, non plus après avoir pris une décision, mais avant de la prendre. La presse a échappé au pouvoir discrétionnaire, et, au risque des procès qu’on ne lui ménage pas, elle peut reprendre, non sans des vivacités quelquefois compromettantes, son rôle d’avant-garde. Les réunions publiques, sans avoir tenu jusqu’ici tout ce qu’on en attendait, existent après tout ; elles se multiplient, et M. Jules Favre a pu disserter l’autre jour à la salle Valentino sur la littérature française sans avoir affaire au commissaire de police, pendant que d’autres dissertent ailleurs sur la nécessité de l’expropriation universelle pour cause d’utilité publique. Ce n’est pas un esprit comme M. Rouher qui peut méconnaître les nécessités invincibles d’une telle transformation, et qui peut s’effrayer de tout ce qu’entraîne une ère de discussion élargie. M. Magne, qui vient de publier son rapport financier, ne paraît pas être non plus le dernier dans le cabinet à s’inquiéter des susceptibilités de l’opinion et des légitimes exigences des chambres. L’empereur lui-même enfin, dans les réceptions du jour de l’an, parlait de la « juste pondération des pouvoirs, » du « concours tous les ans plus indispensable du