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n’a pu réduire à l’unité romaine. C’en est donc fait du valdisme. La réformation désespère de le rétablir dans ses vallées natales, et les souverains de l’Allemagne, émus d’un si grand désastre, recueillent les expulsés errans et leur fournissent des terres vacantes à cultiver. À Rome au contraire, on est dans la joie, on fête la dispersion par des Te Deum retentissans, comme on avait fêté auparavant les Pâques piémontaises et la Saint-Barthélémy française, et le pape expédie au duc de Savoie Victor-Amédée II un bref solennel pour le féliciter d’avoir enfin dissipé le point noir de l’hérésie au bord de l’horizon immaculé de la terre italienne ; mais cette joie est de courte durée : trois ans après la catastrophe, les proscrits reparaissent en armes sur la crête des Alpes. Ils n’ont pu vivre sur la terre étrangère malgré l’empressement affectueux des peuples et des souverains protestans qui les ont accueillis, l’amour invincible du montagnard pour le lieu de sa naissance les a ressaisis et les ramène aux Alpes. La « glorieuse rentrée, » comme les écrivains vaudois nomment ce retour, est l’événement le plus extraordinaire que nous ayons à décrire ; mais, avant d’arriver à la grande crise de 1686, il faut connaître la période traversée depuis la paix de Pignerol de 1655, par laquelle se termine notre dernière étude.


I.

Cette paix, obtenue par la médiation française, avait mis fin à la première guerre des banditti, ainsi nommée parce qu’elle fut soutenue par les vaudois échappés au massacre des Pâques piémontaises et bannis par les édits de la cour de Turin. Elle fut suivie d’une série de persécutions de détail et de crimes commis par les soldats de la forteresse de la Torre, qui finirent par pousser à bout la patience des vaudois et par faire éclater une seconde guerre. La forteresse de la Torre a dominé pendant deux siècles la patrie vaudoise. Bâtie au XVIe siècle par Charles-Emmanuel Ier au confluent des vallées du Pellice et de l’Angrogna, elle était d’abord destinée à défendre contre la France les pentes du versant italien. Les successeurs de Charles-Emmanuel Ierla laissèrent tomber en ruine : la France semblait avoir abandonné tout projet sur l’Italie depuis l’échange du marquisat de Saluées contre la Bresse en 1601 ; mais, sous le règne de Louis XIII, Richelieu ayant de nouveau franchi les monts et occupé Pignerol et Casale, la forteresse fut relevée et agrandie ; elle devait servir à la fois à surveiller les vallées vaudoises et à tenir en échec les forces françaises établies dans la citadelle de Pignerol. Louis XIV, déjà sous l’influence fatale qui devait le conduire à la révocation de l’édit de Nantes, semble avoir vu sans dé-