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négligent de faire respecter les lois par lui-même dictées. Il importe d’ailleurs de précipiter l’événement pour satisfaire au plus tôt, outre Dieu, le peuple, qui murmure, et dont l’impatience devient véritablement importune. — Voilà ce que mandent au roi les gens de sa cour.

Le roi néanmoins ne se presse pas de leur répondre. Il ne lui convient pas sans doute d’engager avec eux une controverse sur les faits accomplis : présentement ils s’engagent à respecter la vie de Berquin, et présentement cela suffit au roi. Berquin demeure prisonnier, mais à bon droit il se croit sauvé. C’est alors, le 17 avril, qu’il fait parvenir à son complice, le docte Érasme, le récit presque enjoué de sa « tragédie. » Par le même messager, il lui transmet la série des articles que les délégués du pape ont condamnés, le priant d’y répondre amplement, comme il sait répondre. Le roi, lui dit-il, l’estime beaucoup, il l’estimera bien davantage quand il aura confondu cette engeance de théologiens attardés, dont l’ineptie n’excuse pas la violence. Érasme, qui était alors à Bâle près de son ami Froben, recevait presque en même temps un paquet de Noël Bédier contenant la copie de plus de deux cents propositions extraites de ses livres et sommairement censurées par l’outrecuidant syndic. Si l’amitié d’Érasme était quelquefois un peu trop circonspecte, on l’appelait en scène dès qu’on le traitait en ennemi et malgré son dédain habituel pour les théologiens et les moines il ne savait supporter aucune offense, même venant de ces moines, de ces théologiens. Il répondit à Bédier le 6 juin en le dénonçant au parlement comme un impudent sycophante.

Ce fut pour Berquin un très opportun et un très utile auxiliaire. Érasme avait partout en effet, même en France, un grand crédit. Sa lettre, lue le 5 juillet 1526 au parlement avec la plus respectueuse déférence, produisit la sensation qu’il avait sans doute prévue : elle indisposa contre Bédier le plus grand nombre des conseillers qui la comprirent, et, quand on raconta devant le roi cette mésaventure des sorbonistes, il en fut satisfait. Ce ne fut pas la dernière. Appelé bientôt à se défendre lui-même devant le parlement, Bédier accusa vainement Érasme, et vainement jura qu’il était de la confrérie de Luther; le parlement interdit provisoirement aux libraires de vendre les libelles de Bédier contre Érasme, et soumit pour l’avenir à la formalité de l’autorisation préalable tous les livres destinés à la presse par les régens mêmes de la faculté[1].

Érasme a donc obtenu tout ce qu’il pouvait désirer en portant sa plainte. Il n’avait jamais demandé qu’on fit à son orthodoxie calom-

  1. Séance du 16 août 1526.