Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/474

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec un titre, avec un nom supposés, avec des additions, des suppressions nombreuses, avec des contre-sens commis par un interprète ignorant, et, pour ne pas leur laisser supposer que je parlais ainsi pour me sauver, je leur ai proposé de vérifier sur mon manuscrit autographe si je disais vrai ou faux. Deux fois la reine-mère avait écrit aux commissaires de surseoir jusqu’à l’arrivée du roi, le roi très chrétien voulant consulter quelques gens de bien doctes et sensés sur l’affaire de Lefebvre, sur la mienne, sur d’autres semblables, et les établir juges de tous ces débats. Cependant les commissaires, ou ne pouvant modérer la violence de leur inimitié, ou désirant complaire à la faculté, ou redoutant un échec pour leur tyrannie, après s’être suffisamment déchaînés contre le nom d’Érasme, après l’avoir appelé bruyamment hérétique, apostat, et Berquin son disciple, produisirent une suite de phrases extraites, disaient-ils, de vos livres par des théologiens, phrases tronquées et mutilées, et les déclarèrent hérétiques, schismatiques, scandaleuses, ou du moins sentant l’hérésie, c’est-à-dire leur déplaisant. Il serait long, très docte Érasme, de répéter ici tout ce que je leur ai répondu; sachez simplement que je ne leur ai pas cédé sur un seul article, et cependant je n’ai rien dit sur le ton d’une raideur opiniâtre. Ou j’ai moi-même expliqué votre opinion mal comprise, ou j’ai fait voir le sens d’une phrase détachée dans une phrase précédente, ou j’ai dit que les mots exprimaient mal votre pensée, ou qu’il manquait quelque chose, ou que le texte de l’exemplaire était corrompu; en résumé, j’ai pris garde de toute façon soit à ne faire, d’une part, aucune concession à leur malveillance, soit, d’autre part, à ne leur pas donner une juste cause de sévir contre moi, contre vos livres. Je n’ai pas omis non plus les protestations; j’en ai fait, disent-ils, d’innombrables. Méprisant néanmoins ces protestations, méprisant l’édit de la reine-mère, ayant à leur aide appelé trois moines, que j’avais dès l’abord récusés, principalement le prieur des chartreux, comme suspects de mauvais vouloir envers Érasme, ils n’ont pas craint de me condamner, n’ayant pas même dit un mot contraire à la foi catholique, comme hérétique et fauteur d’hérétiques[1]. »


La sentence lui fut lue dans sa prison, à la Conciergerie. Ses livres seront encore une fois brûlés en sa présence, tandis que pour sa part il déclarera, selon la formule prescrite, approuver une aussi juste condamnation. Ensuite il méritera la pitié de l’église en ne lui refusant aucune des satisfactions qu’elle exigera. Sinon il sera livré lui-même au bûcher. On vient de lire sa lettre à l’illustre docteur de Rotterdam. Elle est d’un homme sans jactance, qui ne dédaigne pas d’être souple, adroit, pour défendre sa cause, même lorsqu’il a

  1. Epistolœ Erasmi; Appendix; epist. 335.