Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout ce qui touche à la religion, les clercs seuls peuvent écrire; ils ont seuls reçu le mandat de prêcher l’Évangile et de l’interpréter. Si l’on tolère maintenant que les laïques s’en mêlent, le désordre commence, et la société court aux abîmes. Étant donc informé des faits reprochés à Louis de Berquin, Guillaume Roger, procureur-général au parlement de Paris, députe à son domicile Jacques de Mailly, huissier de la cour, avec l’ordre de saisir dans les livres et les papiers de ce savant tout ce qui lui paraîtra suspect d’hérésie.

Comment s’était révélé le secret de Berquin? Comment avait-on appris que cet « homme de grandes lettres » avait aussi « l’esprit fort libre[1]? » Comment avait-on été conduit à savoir qu’il lisait dans sa retraite des livres malsains et en composait de semblables? Voici ce que nous raconte à ce sujet le docte Érasme, que Berquin vénérait déjà comme un père, et qui plus tard, dit-il, aima Berquin comme un fils. Quelque temps auparavant, au rapport d’Érasme, Berquin avait osé censurer un théologien de la plus grande autorité dans l’école et dans l’église, Guillaume Duchesne, de Coutances, curé de Saint-Jean-en-Grève et proviseur du collège d’Harcourt. S’il n’avait pas fait imprimer cette censure, il en avait du moins communiqué le texte à quelques amis[2]. Or, pour être compté parmi les catholiques douteux, c’est-à-dire les luthériens cachés, assurément il n’en fallait pas davantage : un laïque ne pouvait prendre à partie sur tel ou tel article de dogme ou de discipline un personnage aussi considérable que maître Guillaume Duchesne sans être au fond du cœur un apostat.

Quelques livres et quelques papiers de Berquin furent jugés suspects par l’huissier de Mailly, qui les saisit et les fit transporter au greffe de la cour. Les livres étaient divers écrits de Luther, de Mélanchthon et de Carlstadt; les papiers étaient des traductions de livres latins en langue vulgaire et quelques traités originaux de Berquin, latins ou français, dont voici les titres : de l’Usage et de l’utilité de la messe, le Miroir des théologastres, le Débat de piété et superstition. Berquin s’est avoué l’auteur de ces traités; il est donc prouvé qu’il occupait ses loisirs à composer des écrits théologiques. Puisqu’ils ont été soustraits à notre examen, nous ne pouvons dire s’ils étaient vifs ou modérés. Ils étaient, au témoignage d’Érasme, d’une modération tout à fait irrépréhensible. Ainsi notre docteur faisait simplement observer qu’on commençait à prononcer trop souvent en chaire le nom de la Vierge, et qu’on ne pouvait,

  1. Théodore de Bèze, Histoire ecclésiastique, liv. Ier.
  2. Érasme, Epist. 1061.