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source d’aisance. Ceux qui dans nos villes jettent si légèrement une égale somme à des dépenses superflues ou funestes ignorent à coup sûr ce qu’elle peut écarter de souffrances d’un toit modeste. Notez que j’ai négligé de mettre en ligne de compte le salaire que touchent quelques ouvriers pour certaine besogne, comme la préparation du noir de Brière, quoique ce soit encore un appoint utile. A tous les genres de travail qu’offre le sol de la Brière, on joint d’ailleurs communément quelques autres occupations, par exemple l’exercice de l’un ou l’autre des métiers les plus ordinaires qui se rencontrent partout, ceux de maçon, cordonnier, tisserand, etc. Celui de charpentier de navires est préféré par le plus grand nombre. C’est même là, pourrait-on dire, l’état héréditaire parmi les Briérons, comme s’ils lui trouvaient le mérite de leur rappeler la barque affectionnée dès l’enfance. D’ailleurs ils y excellent. Les charpentiers de ce pays sont fort recherchés dans les chantiers du bas de la Loire. Très adroits et très expéditifs, ils sont en outre exacts, économes, ennemis des chômages volontaires et de la funeste habitude de perdre le lundi.

Grâce à ces diverses ressources, et quoique les familles soient en général nombreuses, on ne connaît point la misère. Un certain air d’aisance règne même à peu près partout dans cette contrée. On a construit, à Saint-Joachim par exemple, un certain nombre de maisons fort simples, mais d’agréable apparence. Nulle part on ne recourt aujourd’hui aux couvertures en chaume, seules en usage jadis; on n’emploie plus que l’ardoise. Autre indice encore plus significatif : dans plusieurs communes contiguës à la Brière, on a pu bâtir presque exclusivement à l’aide de souscriptions volontaires de nouvelles et vastes églises à l’aspect monumental. Voilà qui témoigne sans doute des sentimens religieux très prononcés de la population, mais c’est aussi une preuve qu’elle possède le moyen de subvenir à ces dépenses. On n’a pas non plus négligé les maisons d’école, fréquentées par le plus grand nombre des enfans.

Ce qui plaît le moins à la masse des ouvriers, c’est le travail de la terre, l’agriculture proprement dite, dont l’état semble assez languissant. Souvent elle est abandonnée aux femmes. Les hommes restant au pays après le tourbage se plaisent à revenir dans la Brière soit pour les transports sur les blains, soit pour la chasse ou la pêche. La Brière, c’est la patrie, c’est le refuge, c’est la mère nourricière de tous. Est-il besoin de dire quelle réprobation doit soulever l’idée mise parfois en avant d’un dessèchement et d’un partage? Il avait suffi que la construction du canal de Trignac éveillât quelques appréhensions de ce genre pour que l’entreprise fût frappée d’impopularité. Tout changement de régime apparaît à la population comme une menace de mort suspendue au-dessus de sa tête. Après le des-