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entre le midi et le nord de l’Europe? Le sujet vaudrait la peine d’être étudié. Les conséquences économiques, sociales et morales de cette différence vont très loin, et se feront peut-être toujours plus sentir dans l’équilibre des forces nationales. Nés de l’amour de la famille, les emblèmes et les poésies du père Cats ont contribué à le développer chez son peuple. Quelque chose de grave et de serein tout à la fois se dégage de cette végétation, touffue de maximes et de conseils. C’est bien aussi l’expression du portrait de l’auteur qui se trouve en tête de son poème des Cercueils. Il devait être encore dans la force de l’âge quand ce portrait fut fait, bien que ses cheveux fussent devenus rares et sa barbe grise. C’est une figure ovale, portant la barbe comme Louis XIII, une bouche grande, mais fortement fermée, un nez long, un grand front dégarni, des yeux noirs d’une rare douceur avec la patte d’oie très marquée, ce qui indique les lectures prolongées et l’observation continue, en somme une physionomie plus agréable que belle, empreinte de bienveillance et surtout d’une droiture d’intention qui frappe au premier abord. C’est un type achevé d’honnête homme.

C’est ainsi qu’on aime à se le représenter dans sa retraite à Sorgvliet, dont il avait lui-même dessiné les plans et dirigé la mise en culture. La maison était simple et commode, un corps de logis central flanqué de deux ailes ressortant en avant. Un grand jardin avec une grotte artificielle surmontée d’une statue de Neptune armé de son trident, un bel étang le long duquel couraient des espaliers et des parterres régulièrement espacés à la française, en faisaient les principaux ornemens. C’est là qu’il atteignit l’extrême vieillesse, trouvant encore des emblèmes dans les fleurs de son jardin et les grenouilles de son vivier, et tout heureux d’avoir montré à ses compatriotes le parti qu’un judicieux emploi du terrain permettait de tirer de ces dunes qui de ce côté servent de digue naturelle à la Hollande contre la Mer du Nord, mais qui semblaient absolument revêches à toute culture.

Les sentimens religieux du vieux pensionnaire, très sincères durant sa vie active, avaient encore gagné en vivacité avec l’âge. Le dimanche et une fois dans la semaine, en vertu d’une permission spéciale, un des pasteurs de La Haye venait à Sorgvliet présider un service religieux auquel Cats et toute sa maison assistaient régulièrement. Il était d’ailleurs encouragé dans cette ferveur par sa gouvernante, une dame Havius, veuve d’un de ses anciens serviteurs, et qui, en tout bien tout honneur, devint après la mort de Mme Cats la directrice de l’intérieur. Dans ses dernières poésies, le vieillard a rendu un touchant hommage aux soins dévoués dont il fut entouré jusqu’au dernier moment par la digne matrone. Elle n’avait qu’un défaut à notre connaissance, elle aimait trop à prè-