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le moment. Son déterminisme calviniste l’empêche de s’égarer dans ce labyrinthe. Il sait bien que le libre arbitre absolu n’est qu’une illusion, qu’en réalité l’homme veut ce que son cœur aime, et c’est dans ses œuvres que se trouve ce tableau résumé du développement moral de l’homme qu’on peut recommander à nos psychologues : « Je fais le mal et veux le faire. — Je ne fais pas le bien et ne veux pas le faire. — Je fais le mal que je voudrais ne pas faire. — Je ne fais pas le bien que je voudrais faire. — Je ne fais pas le mal et ne veux pas le faire. — Je fais le bien et veux le faire. » Il ne s’en est certainement pas rendu compte à lui-même, mais dans sa conception de l’histoire et dans sa philosophie pratique il y a un sens remarquable du développement, de la continuité, comme s’il pressentait la théorie de l’immanence de l’esprit dans les choses. La contemplation du moraliste fraie la voie à la spéculation du métaphysicien. Cats, sous certains rapports, fait prévoir Spinoza.

Un autre trait commun de J. Cats avec Montaigne, c’est que ses œuvres, du moins pour nous modernes, ne sont pas de nature à être lues de suite. Il est trop bavard, trop plein de digressions interminables. Ces énormes poèmes entassés l’un sur l’autre effraient d’avance par leur masse, et sa versification, quoique facile, naturelle, empruntant même un charme particulier aux formes archaïques, devient à la longue très monotone; mais quel plaisir de feuilleter son gros livre! C’est l’ami de la maison, le compagnon des rêveries du foyer. La réputation poétique de Cats avait un peu pâli sous l’influence de notre école classique; depuis le commencement de ce siècle, et le romantisme aidant, elle a repris tout son éclat. C’est une individualité, c’est quelqu’un qui a marqué de sa forte empreinte un immense matériel de connaissances, d’expériences et de faits. Comme tous ses contemporains instruits, il avait énormément lu les anciens et les modernes. Les citations latines, grecques, françaises, italiennes, espagnoles, même hébraïques, abondent sous sa plume; mais un fil conducteur n’a cessé de le guider à travers ses lectures. Il a lu surtout pour apprendre à connaître le cœur humain. Ses notes de toute espèce trahissent cette préoccupation continuelle. Par ce luxe d’érudition, Cats se rattache encore à la renaissance et à l’enthousiasme que suscita le commerce renouvelé avec l’antiquité. Toutefois de l’autre côté il représente l’esprit moderne commençant à faire le compte de son avoir, comparant le nouveau et l’ancien, assez sûr de lui-même pour puiser dans l’antiquité sans s’y noyer, traduisant tout à sa barre pour juger tout, et supérieur par conséquent aussi bien à l’éblouissement de la renaissance proprement dite qu’à la grossière ignorance de l’époque antérieure. Sans doute