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du pays. » Ce n’était pas une mince victoire remportée sur un des plus affreux préjugés que le moyen âge ait légués aux temps modernes. En Hollande comme ailleurs, les magistrats n’étaient pas toujours libres de résister à la pression de l’opinion publique, en proie à d’absurdes terreurs; mais là plus tôt qu’ailleurs les classes éclairées réagirent contre ce genre de superstition. C’est un livre hollandais, le Monde enchanté, du pasteur Bekker, qui extirpa de tous les esprits cultivés cette superstition si dangereuse. Parfois aussi on tâchait de tourner le préjugé pour le rendre inoffensif. A Oudewater par exemple, on avait trouvé le moyen d’établir juridiquement l’innocence des gens accusés de s’être donnés au diable. Le peuple croyait qu’un sorcier, étant possédé du démon, devait, quand on le pesait, accuser un poids beaucoup plus lourd que celui qu’on pouvait raisonnablement attribuer à son corps. La justice locale avait donc une balance ad hoc, à l’usage des prétendus sorciers ou sorcières, qu’on faisait monter, dépouillés de tout vêtement, sur un des plateaux, et qui, l’épreuve terminée, obtenaient du magistrat compétent un certificat garantissant leur poids et leur innocence.

Pour en revenir à notre ami Cats, il jugea que le moment était venu de penser au mariage; mais il était écrit que l’amour lui jouerait longtemps de vilains tours. Non-seulement il s’était amouraché d’une fille de condition inférieure, mais encore, à la veille de l’épouser, il fut atteint d’une fièvre tierce qui pendant deux ans défia tous les remèdes. C’est en vain qu’il changea d’air, qu’il séjourna en Angleterre, qu’il consulta les autorités d’Oxford et de Cambridge et même le premier médecin de la reine Elisabeth, que, de retour en Zélande, il épuisa tous les moyens empiriques ou rationnels qui lui furent indiqués, — la fièvre ne le quittait pas. Il était réduit à l’état d’un squelette et désespérait de guérir, quand il rencontra un charlatan barbu qui lui fit prendre une poudre mystérieuse dans un grand verre de vin du Rhin. Dès le lendemain, il se sentit mieux, et depuis lors la fièvre ne revint plus. Ce médecin de rencontre arrivait-il au bon moment, ou bien sa poudre avait-elle quelque vertu réelle? Nous ne saurions le dire. Cats pense que ses prières eurent au moins autant d’efficacité que la poudre inconnue. On peut supposer que la secousse morale résultant d’un procès criminel qu’il réussit à gagner en faveur d’un jeune homme accusé de meurtre, mais qui n’avait tué que pour défendre son vieux père, ne fut pas étrangère à ce retour de la santé.

Délivré de la fièvre, il s’établit avocat à Middelbourg. Ses amours de La Haye paraissent avoir été chassées par la maladie. Il gagna beaucoup d’argent dans la capitale de la Zélande en plaidant pour