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il faut serrer de nouveau le gros livre dans l’armoire jusqu’à la semaine prochaine. Le paysan, dans les soirées d’hiver, tandis que, séparées par une simple cloison mobile, ses vaches bien-aimées dorment en poussant leur souffle égal et doux qui réchauffe toute la chaumière, le paysan cherche dans le père Cats les bons conseils qu’il donne à l’agriculteur et au bouvier. Le petit marchand, la ménagère, y recueillent d’excellentes directions d’économie domestique. Le boer exilé dans les prairies de l’Afrique méridionale, rêvant de l’Europe, sa vraie patrie, qu’il ne verra jamais, se figure en feuilletant son Jacob Cats la société agitée, variée, passionnée, des pays habités par ses pères. C’est comme le parfum des jours antiques de sa race que le gros livre lui conserve dans sa région perdue à l’autre bout du monde. Et plus d’une fois, en Hollande même, il arrive au vieillard, au penseur, au savant, de parcourir avec un respect attendri ce livre de la sagesse nationale qui lui rappelle les jours de son enfance, et il s’étonne de trouver souvent chez le vieux conteur qui rabâche un peu des aperçus, des remarques, dont sa propre expérience lui révèle maintenant la finesse et l’originalité. Commençons par la biographie du poète.


I.

Les touristes qui viennent visiter la Hollande laissent ordinairement de côté la province de Zélande, c’est-à-dire l’archipel formé par les îles qui commandent l’embouchure commune de l’Escaut, de la Meuse et du Rhin. Les guides imprimés les en détournent en leur affirmant que la Zélande n’offre rien d’intéressant. Les guides ont tort et les trompent, non que cette province puisse rivaliser avec les autres sous le rapport des trésors de l’art; mais, outre que là surtout on peut se rendre compte des gigantesques travaux d’endiguement qui protègent contre l’océan les terres et les hommes, outre le superbe hôtel de ville de Middelbourg, construit par Charles le Téméraire en 1468, si fièrement dressé au centre de l’île de Walcheren avec sa tour colossale et ses vingt-cinq grandes statues des anciens comtes de Zélande, je connais peu de pays qui aient conservé au même degré leur type original. La race des habitans est belle et forte. Les paysans portent encore aujourd’hui le justaucorps et les larges chausses du XVIIe siècle; leur chapeau est de feutre à petits bords, comme ceux des paysans suédois qu’on a pu voir à la dernière exposition. Les femmes, d’une grande fraîcheur, ont par-dessus leur casaquin noir un fichu de couleur pâle qui tranche fort agréablement sur leurs jupons à bandes vertes et noires. Les visages ont l’expression sérieuse, sans tristesse pourtant. Ce peuple est la-