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politiques eussent été pour la constitution d’un empire ou d’une confédération dépassant même du côté de Dijon les limites que nous venons de lui assigner hypothétiquement. Encore aujourd’hui, dans tous les districts de langue germanique renfermés dans ces limites, en dépit des révolutions, des divisions géographiques, des différences de constitution et de religion, le caractère régional, les mœurs, les patois, les coutumes domestiques, tout conserve les marques d’une vieille affinité qui, abandonnée à son essor naturel, eût créé une grande nation.

Parmi les causes qui en empêchèrent la formation, il faut compter d’abord l’élément wallon, qui, s’appuyant sur la Bourgogne et la Champagne, s’avançait comme un coin dans la direction de Liège, jusqu’en face de Maestricht, et qui offrit un champ d’exploitation facile à l’humeur conquérante de l’ancienne monarchie française. Vient ensuite le peu de goût des Allemands en général, pendant bien des siècles, du Néerlandais en particulier et de nos jours encore, pour la centralisation indispensable à la fondation d’un empire entouré de voisins ambitieux et jaloux. L’individualisme local, celui des villes surtout, résista toujours aux essais tentés en ce sens. N’avons-nous pas vu, à une époque encore bien rapprochée, et malgré les conseils de l’intérêt matériel, les anciens Pays-Bas se diviser de nouveau en Belgique et Hollande ? Ces villes des Flandres et des provinces néerlandaises, républiques municipales qui formaient les élémens les plus irréductibles de cette nationalité virtuelle, purent oublier leurs rivalités, s’imposer de grands sacrifices pour la défense commune de l’indépendance, mais jamais elles ne furent possédées du démon des conquêtes. De plus le groupe des dialectes néerlandais s’est trouvé amoindri depuis le XVIe siècle ; le haut-allemand de Saxe, devenu prédominant grâce à la bible de Luther dans presque toute l’Allemagne septentrionale, les réduisit à l’état de patois partout ailleurs que dans les Pays-Bas. Enfin les grandes guerres politiques et religieuses firent le reste au XVIIe siècle.

Là toutefois où cette nationalité entravée dans son développement naturel fut assez forte pour éliminer ou absorber les élémens hétérogènes, assez resserrée pour s’unir au nom des intérêts identiques et se maintenir avec son caractère à part, on vit se déployer des énergies d’une rare vigueur, trempées par une résistance continue, séculaire, aux forces hostiles environnantes. La personnalité nationale, comme la personnalité individuelle, prend conscience d’elle-même et se fortifie par l’opposition. Le struggle for life favorise la formation des peuples forts dans l’histoire, comme celle des espèces tranchées dans la nature. La France du XIVe siècle et de la révolution, l’Angleterre du XVIIe siècle, l’Allemagne contemporaine, dé-