Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

percevoir dès le milieu du règne certains symptômes des temps nouveaux, un prompt essor de la bourgeoisie, un appauvrissement rapide et continu de l’aristocratie. Louis XIV y avait contribué en recrutant dans les classes moyennes les instrumens de son pouvoir ; Saint-Simon, comme on sait, le déplore amèrement. La petite noblesse surtout, reléguée dans les dernières provinces, ne se soutenait plus qu’à peine. Mme de Maintenon pouvait dire en 1707 aux demoiselles de Saint-Cyr : « Ne vous flattez pas sur ce que vos proches avaient quelque chose quand vous les avez quittés. Les choses sont changées depuis : celles qui ont laissé leurs parens avec deux mille livres de rente n’en trouveront peut-être pas mille, celles qui en avaient mille n’en ont pas cinq cents, celles même qui étaient le mieux ne trouveront pas grand’chose, et le plus grand nombre n’aura rien du tout. » Vers la même époque, Vauban acquérait la conviction qu’à la suite des malheureuses guerres de la fin du règne plus de la dixième partie du peuple en France était réduite à la mendicité, et que des neuf autres parties il n’y en avait qu’une peut-être en état de faire l’aumône. Vauban, dans ses calculs patriotiques, se préoccupait de la nation tout entière. Mme de Maintenon ne connaissait qu’une classe ; ce fut le sort de la petite noblesse qu’elle prit seul en sérieuse considération, et elle crut que par là elle réformerait la France.

Si l’idée première, au point de vue politique, était étroite, l’exécution en fut singulièrement imparfaite. Certes Mme de Maintenon possédait à un éminent degré quelques-unes des qualités d’esprit et de cœur les plus nécessaires à la tâche qu’elle s’imposait : elle avait le profond sentiment de la dignité personnelle, la droiture d’intention, la sincère piété. Ses lettres aux dames et demoiselles de Saint-Cyr, ses entretiens, ses instructions, attestent de plus un goût particulier, une aptitude spéciale pour le maniement des esprits, et une ferme intelligence à la hauteur de ce rôle. On pourrait, par un choix habile entre ses différens messages à Saint-Cyr, composer un volume digne de prendre place à côté de nos bons moralistes. Ainsi qu’eux, elle sait recommander la vie intérieure comme la source élevée d’où les actes découleront naturellement et sans effort. Elle est habile à pressentir les consciences, à deviner les faiblesses, à déceler les tentations, elle excelle à faire accepter l’humiliation et la prière. Toutefois ces qualités ou, si l’on veut, ces vertus ne conduisent Mme de Maintenon qu’à une sorte de haute direction religieuse qui s’empare des âmes par un seul côté et les replie durement sur elles-mêmes à la recherche d’un prétendu perfectionnement intérieur exclusif de tout libre essor vers la culture intellectuelle ou vers les affections les plus légitimes de la nature. Nulle