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liberté ; vous m’avez engagé à vous parler de choses que je ne sais et ne connais que médiocrement[1]… » Chamillard ne lui témoignera pas moins d’humilité, et pour de bonnes raisons, quand il deviendra secrétaire d’état. Qu’il ait été la créature de Mme de Maintenon, ainsi que Voysin, qu’elle ait contribué à maintenir en place les Marsin, les Tallard, les Villeroy, cela serait sans doute difficile à contester. Il est bien certain qu’elle n’a pas été auprès de Louis XIV une inspiratrice de résolutions énergiques, de modération forte, de justice et de respect du droit. Elle n’a pas été à la hauteur de ce que comportait le rôle qu’elle avait ambitionné. En outre elle a été plus d’une fois dure et cruelle pour ses amis, les sacrifiant avec une incroyable sécheresse après s’en être engouée et les avoir engagés compromis. On se rappelle la pauvre Maisonfort, Fénelon, Mme Guyon. Elle a fini par abandonner même le vieux roi mourant ; il l’a vainement cherchée de son dernier regard. — Cela dit, la justice oblige à reconnaître que, selon toutes les vraisemblances, la France lui a dû de ne subir que vingt ans plus tard les hontes dont la régence et Louis XV devaient l’accabler. Qui osera répondre que, sans son influence, Louis XIV aurait su garder pendant sa longue vieillesse et imposer autour de lui quelque pudeur ? La domination de cette femme sur ce roi septuagénaire a pu être lourde et oppressive ; mais à certains égards elle a été une sauvegarde.

Veut-on saisir d’un seul aspect la mesure intellectuelle et morale de Mme de Maintenon ? Saint-Cyr est le miroir de sa vraie physionomie. C’est à Saint-Cyr que, défiante de Versailles, elle abrite et cache son influence ; c’est là qu’elle donne carrière à ses vraies aptitudes, à son instinct de domination et de direction. Saint-Cyr est la manifestation immédiate de cette royauté anonyme, et La Beaumelle a mis le comble à ses méfaits en supprimant un grand nombre des témoignages qui se rapportaient à cette époque de sa vie : c’était voiler quelques aspects principaux de la figure historique qu’il prétendait faire connaître. L’œuvre de Mme de Maintenon à Saint-Cyr a été le plus souvent un objet d’éloges ; il semble cependant que cet examen, repris avec le secours de sa correspondance complète, telle que nous la possédons aujourd’hui, ne tourne pas entièrement à son avantage. Sur les épisodes précédens de sa vie, l’opinion a été souvent trop sévère ou bien empressée à juger sur des pièces peu concluantes ou fausses ; ici, croyons-nous, la critique a été trop indulgente.

Saint-Cyr dut sa création, vers 1685, à une pensée louable, mais étroite, de politique et de charité. Il n’était pas difficile d’a-

  1. Archives de M. le comte Lassus.