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quatre fois plus haut, elle atteindra quarante pieds. Les forceviviers, — c’est Voltaire qui les appelle ainsi, — trouvaient là la confirmation de leur théorie. Pour une vitesse double, l’élévation de la balle, c’est-à-dire le travail produit par elle, est quadruple; il est comme le carré de la vitesse. Il semblait donc que la question fût tranchée; mais les adversaires de Leibniz ne restaient pas sans réponse. La balle, disaient-ils, met dans le premier cas un certain temps pour s’élever à dix pieds. Combien de temps met-elle dans le second cas pour s’élever à quarante? Elle met un temps double. Il y a donc deux temps pendant chacun desquels agit la vitesse double, et de là vient l’effet quadruple; mais la vitesse n’agit que par sa première puissance et non par son carré. La controverse ne finissait pas là : il restait à voir ce qui se passe dans chacun des deux temps et si le raisonnement qui précède n’a pas quelque vice rédhibitoire; mais ce n’est point ici le lieu de pousser bien loin cet examen : il nous suffit d’avoir fait comprendre la nature du litige. D’ailleurs la discussion portait surtout sur des cas plus compliqués; on argumentait sur ce qui se passe dans le choc des corps soit mous, soit élastiques; comme on n’avait alors sur la théorie des chocs que des données fort incomplètes et même fort erronées, on raisonnait sur des faits ou faux ou incertains, et on n’échangeait en somme que de fort médiocres argumens.

Dans son Mémoire sur la mesure des forces motrices et sur leur nature. Voltaire examine le problème en algébriste expert. Nous avons dit déjà dans quel sens il se prononce sur la mesure de la force. Il le fait avec une certaine vivacité, car il avait pris cette question fort à cœur, et il n’épargnait pas d’ordinaire les quolibets aux « forceviviers. » En ce qui concerne la nature même de la force, il a çà et là des aperçus très justes, et il semble près d’indiquer le nœud même de la difficulté en proposant de renoncer à la notion de force pour s’attacher uniquement aux phénomènes; puis bientôt, entraîné par les idées courantes, il en revient à vouloir saisir la force dans son principe interne, et il fait alors de la métaphysique aussi stérile que celle des leibniziens. Nous disons que Voltaire obéit à une heureuse inspiration quand il tend à rejeter l’idée même de force, et qu’il est fâcheux qu’il ne s’en tienne pas à ce bon mouvement. La notion de force est de celles en effet qui n’ont pas porté bonheur aux géomètres et qui ont beaucoup obscurci les origines de la mécanique; il y aurait tout profit à la supprimer. Nous voyons les phénomènes et nous pouvons les mesurer; quant aux causes de ces phénomènes, ce sont d’autres phénomènes. Qu’on donne à ces causes le nom de forces, il n’y a pas grand mal, si on le fait avec prudence et en sachant bien ce qu’on fait; mais il faut craindre une