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raissait, et lui disait à cause de cela : « Je crains, madame, que le ménagement que vous voudriez que l’on eût pour les huguenots ne vienne de quelque reste de préventions pour votre ancienne religion. »

Est-ce à dire qu’il soit permis de dégager ici Mme de Maintenon de toute solidarité ? Nous ne pouvons oublier qu’elle s’est associée à quelques-unes des plus odieuses mesures qui ont suivi la révocation de l’édit de Nantes. Elle, qui avait résisté jadis dans les rangs des réformés, et en s’indignant des indiscrets efforts qu’on tentait pour la convertir, elle n’a pas eu honte d’employer, pour ramener plusieurs de ses parens, les séductions les moins honorables. Elle a conseillé et pratiqué l’enlèvement des enfans : on sait l’histoire de sa cousine, Mme de Caylus ; aux deux frères de Sainte-Hermine elle a promis les faveurs de la cour, l’avancement dans l’armée, et, se jouant des scrupules, elle a fait beaucoup de recrues dans cette voie de corruption. Bien plus, elle paraît s’être accoutumée aux violences, quand à la fin d’une lettre au duc de Noailles elle jette négligemment ces mots : « on tue beaucoup de fanatiques ; on espère en purger le Languedoc[1]. » S’il est très probable qu’elle n’a point concouru à la préparation de l’acte funeste de 1685, elle s’en est rendue solidaire pour l’avoir sans nul doute approuvé en le considérant, comme faisaient tous les ministres de Louis XIV, par son aspect purement politique, et ensuite pour avoir trempé dans les violences qui en furent les suites.

Y a-t-il enfin de suffisantes raisons de rejeter sur elle, comme on l’a fait, tout le poids de la lugubre période par où se termine le long règne de Louis XIV, période de malheurs publics, d’humiliation et de revers, d’étouffement et d’hypocrisie ? Faut-il, avec Saint-Simon, s’en prendre surtout à elle, comme si l’excès de l’absolutisme royal, la dégénérescence de la noblesse, l’ambition du clergé, les jalousies réciproques des différens ordres, n’avaient pas été des causes lointaines et toutes-puissantes d’anarchie et de ruine ? — Nous estimons qu’à ces questions on doit faire une double réponse. Il paraît bien qu’elle a revendiqué une participation notable aux affaires, puisque M. de Torcy lui communique ordinairement ses dépêches, puisque, pendant la guerre d’Espagne, Mme des Ursins n’écrit à personne plus régulièrement qu’à elle, puisque Chamillard lui écrit bonnement en 1694 : « Peut-être que je ne dis rien qui vaille. Vous m’avez ordonné de vous parler avec une entière

  1. Cette lettre est dans le recueil de La Beaumelle, t. V, p. 27, sous la date du 14 mai 1701. M. Lavallée ne la donne pas dans son quatrième volume, sans doute parce qu’il la croit d’une autre date. Ce qui nous importe ici, c’est que la phrase sur les fanatiques du Languedoc est donnée par l’autographe du château de Mouchy.