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celui de ses sujets. Si Dieu nous le conserve, il n’y aura plus qu’une religion dans son royaume. » Voilà les choses préparées de loin, et le lecteur croira suivre les progrès d’une influence ténébreuse et funeste. — En 1684 : « Le roi a dessein de travailler à la conversion entière des hérétiques ; il a souvent des conférences là-dessus avec M. Le Tellier et M. de Châteauneuf où on voudrait me persuader que je ne serais pas de trop. » Nous avions tout à l’heure l’exposition du drame, en voici le nœud. Bientôt après : « Le roi est fort content d’avoir mis la dernière main au grand ouvrage de la réunion des hérétiques. Le père Lachaise a promis qu’il n’en coûterait pas une goutte de sang, et M. Louvois dit la même chose. Je crois bien avec vous que toutes ces conversions ne sont pas également sincères ; mais Dieu se sert de toutes voies pour ramener à lui les hérétiques. Leurs enfans seront du moins catholiques[1]. » Voilà le dénoûment ; La Beaumelle ne s’est pas compromis, mais il a répondu, en partie du moins, à l’attente publique par quelques inventions qu’on ne manquera pas de commenter. Il a insinué que l’influence de Mme de Maintenon, sinon ses conseils directs, a été décisive sur la résolution de Louis XIV.

Le malheur est que ces phrases, si souvent citées[2], sont toutes extraites des lettres à Mme de Saint-Géran, qui sont fausses. Les lettres authentiques ne tiennent pas ce langage ; elles n’offrent pas avant la révocation une ligne qui autorise à penser que le nouveau mariage du roi y ait contribué. Bien plus, le 4 septembre 1687, on voit Mme de Maintenon s’écrier dans une lettre à M. de Villette : « Je suis indignée contre de pareilles conversions ; l’état de ceux qui abjurent sans être véritablement catholiques est infâme ! » Les notes des dames de Saint-Cyr, qui reproduisent les entretiens de Mme de Maintenon, s’expriment dans le même sens. « Les moyens que l’on prit furent un peu rigoureux, auxquels Mme de Maintenon n’eut nulle part, quoique les huguenots se soient imaginé le contraire, car, en désirant de tout son cœur leur réunion à l’église, elle aurait voulu que ce fût plutôt par la voie de la persuasion et de la douceur que par la rigueur, et elle nous a dit que le roi, qui avait beaucoup de zèle, aurait voulu la voir plus animée qu’elle ne pa-

  1. Voyez pour toutes ces citations Lavallée, Correspondance générale, t. II, pages 92, 200, 381, 427, ou La Beaumelle, Lettres, t. II, pages 111, 120, 122.
  2. Voyez les dernières publications, par exemple l’estimable ouvrage d’Ernest Moret, Quinze ans du règne de Louis XIV. « On a vainement nié la part de Mme de Maintenon, dit-il, dans la révocation de l’édit de Nantes ; il faudrait d’abord brûler ses lettres. » Et puis il cite toutes les lettres fausses. — M. Jobez, dans un livre intitulé la France sous Louis XV, s’efforce d’être juste, mais il cite également La Beaumelle. Son tome Ier est de 1864.