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n’alla pas jusqu’à se faire courtisane au détriment d’autres courtisanes. Elle conçut peu à peu, portée par son caractère et sa fortune, de tout autres desseins.

Les détails que La Beaumelle a donnés dans les Mémoires sur le mariage et sa date sont aussi amusans que peu véridiques. Il raconte que le roi, devenu veuf, confia ses sentimens pour Mme de Maintenon au père Lachaise, lequel, tout étonné, pour sortir d’embarras, proposa un mariage secret, et se vit chargé de porter les premières propositions.


« Mme de Maintenon, étonnée, immobile, confuse, écoute, interrompt, s’écrie, se demande si ce n’est point un songe, un piège, un jeu, et se fait répéter mille fois ce qu’elle ne peut ni se persuader, ni se lasser d’entendre. Tous les sentimens de reconnaissance, de modestie, de joie, d’inquiétude, de curiosité, d’amour, se rassemblent dans son cœur. Elle voit remplis des vœux qu’elle n’avait pas osé former : elle en remercie Dieu, le roi, le père Lachaise. Revenue de son trouble, elle répond qu’elle est toute au roi, et qu’elle n’a d’autre volonté que la sienne. — Aux transports succédèrent les réflexions ;… mais c’était bien à une sujette, à la veuve de Scarron, à demander des sûretés à un roi ! Le père Lachaise lui déclara que le roi ne pouvait vivre sans elle, que le mariage était le seul remède à sa passion, que son salut éternel y était attaché… Il combattit tous ses scrupules, et l’amour persuada. Louis la rassura sur ses craintes par mille sermens. »


Un jour d’hiver, M. de Harlay, archevêque de Paris, se leva de très grand matin, et partit dans un carrosse avec son premier aumônier, portant le missel marqué à l’article de matrimoniis. Il entra sans bruit au château de Versailles, où le mariage fut célébré en présence de Bontemps et du marquis de Montchevreuil ; c’était vers la fin de 1685. L’acte de célébration, assure encore La Beaumelle, se retrouva après la mort de Harlay dans ses vieilles culottes. Où est-ce que l’insouciant narrateur a puisé tant d’informations romanesques ou bizarres ? Les documens authentiques ne disent pas un mot de cette prétendue intervention du père Lachaise, et témoignent au contraire que Mme de Maintenon, loin de lui montrer quelque gratitude, le tint toujours à distance. Pour ce qui est de la date du mariage, Saint-Simon paraît la fixer avec raison, non pas à la fin de 1685, mais deux années plus tôt, au milieu de l’hiver qui suivit la mort de la reine. La chronologie vraie est celle-ci, qui ne manque pas d’être assez curieuse. La reine meurt le 30 juillet 1683. Ce même jour, un vendredi, le roi va à Saint-Cloud, d’où il part le lundi pour Fontainebleau. Suivant le récit de Mme de Caylus,