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connaître un pays tout nouveau, je veux dire le commerce de l’amitié et de la conversation sans chicane et sans contrainte : il en paraît charmé. »

Reste la fameuse lettre écrite par Ninon vers la fin de sa vie (elle mourut en 1706) à Saint-Évremont, et où se trouveraient ces lignes : « Scarron était mon ami. Sa femme m’a donné mille plaisirs par sa conversation, et dans le temps je l’ai trouvée trop gauche pour l’amour. Quant aux détails, je ne sais rien, je n’ai rien vu, mais je lui ai prêté souvent ma chambre jaune, à elle et à Villarceaux. » Supposons cette lettre authentique ; ne contient-elle pas une certaine contradiction assez embarrassante ? En conciliera-t-on aisément le milieu et la fin ? Notez que la première allégation serait confirmée par une autre lettre de Ninon. « Mme de Maintenon était vertueuse par faiblesse d’esprit ; j’aurais voulu l’en guérir, mais elle craignait trop Dieu. » De plus Ninon était bonne sans doute, cependant sa bonté allait-elle jusqu’à se refuser, à l’égard d’une amie d’autrefois, depuis si éloignée d’elle, si prude en tous les temps à son avis, la revanche de quelque médisant et trop malicieux souvenir ? Où sont d’ailleurs pour ces pièces du procès les preuves d’authenticité ? Sommes-nous bien avancés quand on nous dit pour unique information que les originaux autographes des deux lettres de Ninon se trouvent dans le cabinet d’un célèbre amateur parisien ? Encore faudrait-il savoir quelque chose de la provenance. Les amateurs, même célèbres, peuvent être abusés, cela s’est vu. Les lignes que nous venons de citer étaient fort bonnes à inventer. On savait que Villarceaux avait courtisé Mme Scarron ; mais on sait aussi par plusieurs témoignages que Villarceaux s’était vu rebuté. Bois-Robert s’en expliquait assez nettement dès 1659 :


Si c’est cette rare beauté
Qui tient ton esprit enchanté,
Marquis, j’ai raison de te plaindre,
Car son humeur est fort à craindre :
Elle a presque autant de fierté
Qu’elle a de grâce et de beauté.
Comme ton mérite est extrême,
Songe à n’aimer que ce qui t’aime.
Suis qui t’estime, et ne perds pas
En l’air tes soupirs et tes pas.


On objecte que Villarceaux fit peindre nue Mme Scarron. Si cela est vrai, il faut reconnaître que le dépit d’avoir été repoussé expliquerait seul une telle insulte ; mais la peinture est-elle plus sûrement authentique que la lettre ? M. Lavallée, qui a rapporté en dernier lieu ces détails, nous dit que cette toile se voit encore au château