Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« vieille fée » de répugnance et de dédain ? Il nous dit que Mlle d’Aubigné est née aux îles d’Amérique, que son père, fils du célèbre compagnon d’armes d’Henri IV, était peut-être gentilhomme, que l’enfant revint seule et au hasard en France, qu’elle fut plus tard, aussitôt après son veuvage, « réduite à la charité de sa paroisse de Saint-Eustache. » Autant d’erreurs ou de mensonges. Saint-Simon déteste Mme de Maintenon ; il altère la vérité parce que la passion l’aveugle. — Est-ce un témoin bien impartial aussi que cette impétueuse Palatine, qui ne se gêne sur rien à l’égard de la « vieille sorcière, » de la « vieille ordure, » de la « vieille rosse ! » Comme Saint-Simon, la Palatine maudit celle en qui elle voit l’usurpatrice du rang suprême. D’ailleurs ne l’a-t-on pas crue jalouse de quiconque avait l’affection du roi ? — La Fare est un épicurien de la société du duc d’Orléans, qui, par d’autres raisons, se soucie aussi peu de la vérité. Il nous dira que d’Aubigné l’aïeul pouvait bien être fils naturel de Henri IV, qui avait quatre ans de moins que lui, que le mariage avec Scarron a duré deux ans, quand il en a duré huit, que le mariage avec Louis XIV a été célébré par l’archevêque de Paris, cardinal de Noailles, tandis que le siège de Paris était occupé à l’époque du mariage par M. de Harlay, et n’appartint à M. de Noailles que douze ou treize ans plus tard. La Fare a beaucoup contribué à jeter çà et là autour de la mémoire de Mme de Maintenon cent accusations fort légères, au sujet desquelles il ne s’est jamais enquis. — Le témoignage de Mme de Sévigné serait grave ; mais M. Clément lui-même a pris soin de compléter en note sa citation ; aux paroles qu’il a rappelées, Mme de Sévigné ajoute : « Et à moins que de l’avoir conté avec malice, quel mal cela lui a-t-il fait[1] ? » Ainsi Mme de Montespan a raconté au roi le premier tome de la vie de Mme de Maintenon afin de perdre sa rivale ; mais, à moins d’y avoir mêlé de la calomnie, dit expressément Mme de Sévigné, cela n’a pu lui faire aucun tort. Il est clair que par le premier tome Mme de Sévigné entend le mariage avec Scarron, la pauvreté, l’obscurité, tout ce qui, comparé avec une élévation inouïe, était un scandale aux yeux des gens de cour. De la sorte, la citation tourne évidemment à l’éloge. Loin d’être témoin à charge dans tout ce qui concerne Mme de Maintenon, la sincère Sévigné professe pour elle une estime constante qui répond à bien des accusations. N’est-ce pas elle qui a écrit dès 1680 ces lignes, contenant sans doute la vraie explication du problème qui nous occupe : « Nul autre ami n’a autant de soin et d’attention que le roi en a pour Mme de Maintenon. Ce que j’ai dit bien des fois, elle lui fait

  1. Lettre du 7 juillet 1680 à Mme de Grignan.