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fait attribuer par Mme de Maintenon à la duchesse de Bourgogne « les sentimens d’une Romaine pour Rome. » Il dira encore, avec un accent presque tragique : « Tout est paisible à Paris parce qu’on y a la comédie et du pain. » Mme de Maintenon, sans songer au fameux panem et circenses, avait très simplement écrit : « parce que le pain est à bon marché. »

Que devient, ainsi défiguré, ce style qui, à l’ampleur, au tour large et facile de la belle langue du XVIIe siècle, joint un charme particulier de délicatesse et de goût, et avec cela quelque chose de raisonnable, de judicieux, de précis, où se reproduit toute la physionomie de Mme de Maintenon, « ce langage doux, juste, en bons termes, naturellement éloquent et court, » que Saint-Simon ne pouvait s’empêcher, quoi qu’il en eût, d’admirer ? — Que devient le personnage même ? Non-seulement certains traits de son esprit et de son caractère, mais les principaux épisodes de sa vie risquent d’être méconnus tant qu’on ne se résigne pas à oublier entièrement de telles publications. Choisissons dans la biographie de Mme de Maintenon quelques-uns seulement de ces épisodes. Il nous sera facile de montrer combien les altérations de La Beaumelle, ses lacunes, ses changemens arbitraires, ont pesé et pèsent encore aujourd’hui sur cette mémoire.


III.

La Beaumelle n’a pas entendu se ranger parmi les ennemis déclarés de Mme de Maintenon. Il s’est abstenu de ramasser leurs injures, et cependant il lui a fait un mal plus durable que ses plus violens détracteurs. Ce que la courte vue et la malignité inconsciente de l’esprit public avaient conjecturé pour expliquer sa fortune extraordinaire, il l’a recueilli, il lui a donné un corps par ses arrangemens et ses inventions romanesques, il l’a fait entrer pour un long temps dans le domaine de l’histoire. Il faudra beaucoup d’efforts pour effacer le souvenir et l’influence de ses fausses données, et pour substituer en pleine lumière à la figure de convention qu’il avait fait accepter celle que les documens authentiques nous présentent aujourd’hui, celle dont M. Sainte-Beuve, M. Saint-Marc Girardin, M. le duc de Noailles, ont déjà distingué ou deviné les traits.

Prenons pour premier exemple celui qui s’offre tout d’abord, le problème d’une si prodigieuse élévation. Que de faussetés La Beaumelle n’a-t-il pas accumulées à ce propos ! D’abord il n’a pas manqué d’exagérer le contraste entre cette élévation et la condition première de son héroïne, bien que la réalité, déjà surprenante,