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curieux ; il se termine par un trait bizarre. « Quand on ouvrit son corps, on n’y trouva aucune partie saine, hormis le cœur, qui pourtant était flétri, et le cerveau, qui était entier, mais comme celui d’un enfant, seulement un peu plus humide. Si l’on ouvrait tous les mystiques, ne les trouverait-on pas tous comme Mme Guyon ? »

Si la page de La Beaumelle sur La Vallière indique un des aïeux de quelques-uns de nos romanciers modernes, ces dernières lignes sur Mme Guyon sont empreintes d’un caractère de réalisme de nature à ne pas déplaire à certains lecteurs de notre temps. En résumé, La Beaumelle, dans ses Mémoires pour servir à l’histoire de Mme de Maintenon, ne manque pas d’esprit ; il dispose d’un assez grand nombre de documens inconnus avant lui, il est modéré dans ses jugemens ; il a le bon goût, tout en accusant certaines fautes de Louis XIV, de ne pas se laisser entraîner au courant de médisance haineuse issu des dernières calamités du règne. Son exposition est claire, ses matières sont bien distribuées, la lecture de son livre est des plus faciles. Cependant aucune de ces qualités ne s’élève au-dessus du superficiel. Son travail est rapide et négligé. Il n’offre nulle part une étude attentive de la conduite et du caractère de Mme de Maintenon, ni en vérité de quoi que ce soit. Il y a de la vivacité dans son style, mais encore plus de négligence, de saillies peu réfléchies, de goût équivoque, de témérité et de prétention. Enfin, s’il est vrai qu’il a eu parfois la main heureuse dans la recherche de ses documens, on ne doit pas oublier quelles singulières libertés il a prises soit dans la publication, soit dans la mise en œuvre de ces pièces historiques. C’est ce que nous montrera plus clairement encore l’examen de ses neuf volumes des Lettres de Mme de Maintenon.

Ce recueil, publié en 1755 et 1756, succédait, en le reproduisant avec des additions, au recueil en deux petits volumes publié par La Beaumelle dès 1752. Nous avons raconté quand et comment l’éditeur avait trouvé les élémens de son premier travail. Racine fils lui avait confié ses copies d’un certain nombre de lettres de Mme de Maintenon ; mais on se souvient que l’impatient La Beaumelle, en examinant ces papiers, y avait regretté bien des vides, auxquels il avait suppléé par ses propres inventions. Voici de quels élémens il avait fait usage, et quels procédés il avait suivis. Le cahier de Racine contenait, avons-nous dit, outre les lettres authentiques, des anecdotes recueillies dans les souvenirs des dames de Saint-Cyr. Il courait de plus une foule de récits, enfantés soit par la malignité et l’envie, soit par l’admiration maladroite, comme il arrive autour des destinées éclatantes ou singulières. Rien de plus simple que de forger avec ces traditions des lettres qui seraient sinon vraies, du