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malheurs du règne le plus glorieux pour notre nation et le plus intéressant pour toutes les autres. » L’auteur prétend, comme on le voit, s’expliquer aussi bien et même mieux que Voltaire sur tous les grands intérêts politiques et religieux de la même période ; il a des vues sur l’état général de l’Europe, il interprète les guerres, les négociations diplomatiques, les querelles de la théologie, et affecte la grande manière des plus graves historiens. Ses maximes philosophiques, ses déclarations de libre pensée ou au moins de tolérance, ses réflexions à la fois d’intention morale et d’allure satirique, sont autant de traits empruntés à l’école de Voltaire, et témoignent de visées plus hautes que celles du simple biographe.

La préoccupation de la polémique est toutefois pour La Beaumelle une première cause d’infériorité, elle l’entraîne hors du grand chemin. On ne sait ce que c’est que son livre des Mémoires : de l’histoire, de la simple biographie, un pamphlet ou un roman ? L’équivoque est d’autant plus choquante que l’auteur, à côté des considérations générales, multiplie l’anecdote et le romanesque, qu’il affiche et invente. Ses têtes de chapitres attirent l’attention et déjà promettent : La Belle Indienne. — Pauvreté de Mme Scarron. — Amans de Mme Scarron. (Notez qu’il finira par reconnaître la vertu ou l’insensibilité de son héroïne ; mais n’importe, le titre a piqué la curiosité.) — Indigence et conduite de Mme Scarron. — Qu’est-ce que les contemporains de Mme Scarron ont pensé de sa vertu ? — Fouquet. — Villarceaux. — Il est bien clair qu’il tourne à dessein autour du feu, et que son intention est d’affriander le lecteur. Veut-on un exemple de son goût pour le romanesque, voici qui peut passer pour un modèle du genre.


« Mlle de La Vallière, dans un déshabillé léger, s’était jetée sur un fauteuil. Là, elle pensait à loisir à son amant. Souvent le jour la retrouvait assise dans une chaise, accoudée sur une table, l’œil fixe, l’âme attachée au même objet, dans l’extase de l’amour. Un bruit léger la tire de sa rêverie ; elle recule de surprise et d’effroi : Louis tombe à ses genoux. Elle veut enfin s’enfuir ; il l’arrête. Elle menace, il l’apaise. Elle pleure, il essuie ses larmes. Elle craint la témérité d’un amant, il la rassure par les sermens d’un roi. Elle le prie de se retirer, il obéit. L’amour le ramène, l’amour lui permet quelques momens d’entretien… L’aurore allait surprendre les deux amans, lorsque Mme d’Artigny vint les prier de se séparer… »


Voltaire n’y tenait pas, à lire ces prétentieux bavardages. « Eh ! mon ami, s’écrie-t-il, l’as-tu vue dans ce déshabillé léger ? L’as-tu vue accoudée sur une table ? Est-il permis d’écrire ainsi l’histoire ! » — Le portrait que trace La Beaumelle de Mme Guyon n’est pas moins