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jadis parmi les manuscrits de la Bibliothèque impériale les témoignages de l’enquête laborieuse qui avait précédé la composition du Charles XII, les longues listes de questions que l’auteur adressait en Allemagne, en Pologne, et les réponses que des extrémités de l’Europe on lui adressait[1]. Le plus rapide examen du Siècle de Louis XIV suffit à démontrer que cette œuvre ne fut pas moins sérieusement poursuivie. Voltaire songeait dès 1732 à son grand ouvrage historique ; il en publia vers la fin de 1739 les deux premiers chapitres sous ce titre : Essai sur le siècle de Louis XIV. La première édition de l’ouvrage complet est de la fin de 1751, la seconde édition, celle de 1752, est définitive. Voilà donc une période de dix années que l’auteur a consacrées en grande partie à la recherche de ses documens. Au premier rang de ses informations, on doit placer ses propres souvenirs et la tradition orale, que son âge et ses relations personnelles lui ont permis de recueillir. Voltaire avait déjà vingt ans quand mourut Louis XIV ; c’est en témoin oculaire qu’il décrit le curieux aspect de la route de Saint-Denis au jour des funérailles. Le maréchal de Villars, les princes de Vendôme, chez qui il avait passé ses années de jeunesse, le cardinal Fleury, le second maréchal de La Feuillade, gendre de Chamillard, Maréchal, premier chirurgien du roi, le marquis de Fénelon, bien d’autres encore, l’ont instruit par leur conversation, riche de souvenirs ; il a connu et cite souvent les mémoires imprimés ou manuscrits de la grande Mademoiselle, de La Porte, Grou ville, Guy-Patin, Saint-Évremond, Choisy, La Fare, Dangeau, Torcy, et des fragmens inédits des œuvres de Louis XIV. Il a eu certainement communication des mémoires manuscrits de Saint-Simon, puisque certains de ses portraits, par exemple celui du maréchal de Vendôme, en semblent reproduire comme dans une traduction voilée les plus originales expressions. Voltaire avait invoqué tous ces secours, et pourtant, comme il arrive de toute nécessité pour des livres trop voisins des événemens qu’ils racontent, son enquête avait été bien dispersée et çà et là bien incomplète. Il lui avait fallu combler d’importantes lacunes et établir certains jugemens par une sorte de divination : c’est ce qui lui était arrivé particulièrement pour Mme de Maintenon. Son bon sens lui avait inspiré de se défier des nombreux pamphlets où cette mémoire était honnie ; mais il n’avait eu pour rétablir la vérité historique et morale que fort peu d’informations précises. À peine avait-il connu quelques lettres originales, et voici qu’un rival en possession d’une si grave correspondance pouvait le convaincre d’ignorance et d’erreur. Voltaire se hâta d’où-

  1. Voir l’Introduction à une édition du Charles XII publiée chez Delagrave.