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Louis XIV. Il avait dès lors entre les mains, il est vrai, les élémens d’une intéressante publication historique. Pendant un voyage à Paris, où il cherchait fortune, il avait eu accès chez Racine fils, qui vivait dans une profonde retraite, occupé seulement d’œuvres charitables et de recherches littéraires. Pendant l’entretien, Racine laissa voir à son avide interlocuteur un cahier de lettres de Mme de Maintenon qu’il avait soigneusement copiées, puis annotées à l’aide de mémoires également inédits. La Beaumelle comprit aussitôt quel parti l’on pouvait tirer de pareils documens, et chez l’excellent Racine s’accomplit la scène proverbiale dont tout véritable amateur a été au moins une fois acteur ou victime. La Beaumelle n’enleva pas le manuscrit de vive force, ni certes, comme l’a dit Voltaire plus tard, par une ruse coupable, par un vol. Racine ne lui en fit pas non plus présent ; mais, ce qui est sûr, il l’emporta du coup, — du droit de sa passion, — promettant de le publier avec Racine, d’envoyer en échange des livres, des curiosités, du thé, des fourrures, tout ce qu’on voudrait. Cependant, à peine de retour en Danemark, La Beaumelle constata avec chagrin combien était incomplet le recueil commencé par Racine. Il lui écrivit qu’il y avait là bien des lacunes, le supplia de lui procurer de nouvelles lettres et de nouvelles informations ; puis, comme la réponse tardait, il ne se soucia pas d’attendre plus longtemps, forgea lui-même des lettres destinées à répondre à la curiosité des lecteurs sur les circonstances les plus intéressantes et les plus délicates de la vie de son héroïne, et publia en 1752 un recueil en trois volumes, dont l’un comprenait une vie inachevée de Mme de Maintenon, et les deux autres toute une série de lettres non interrompue. Trois ans après, fier d’avoir habilement obtenu des communications des dames de Saint-Cyr et du maréchal de Noailles, il remplaça ces trois volumes par six volumes in-12 donnant une biographie étendue, sous le titre de Mémoires pour servir à l’histoire de Mme de Maintenon et à celle du siècle passé, et neuf volumes du même format contenant une plus ample correspondance. Tel était l’ensemble du monument destiné à rivaliser avec l’œuvre de Voltaire.

Voltaire eut peur, non sans quelque raison. Certes il serait injuste d’accuser son Siècle d’entière insuffisance ou de légèreté. Si nous pouvons aujourd’hui, avec le secours des archives, savoir sur le règne de Louis XIV beaucoup de choses que Voltaire ignorait, son livre n’en est pas moins, pour toute nouvelle étude sur ce grand sujet, le point de départ nécessaire à cause des informations nombreuses qu’il avait lui-même recueillies. Il ne faut pas que le charme d’une vive et facile exécution fasse tort ici au sérieux mérite des longues et actives recherches. Nous avons retrouvé