Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Presque chacune de ces lettres laisse encore voir en cet état ses tranches dorées. Nul doute, au dire des hommes spéciaux, ni sur l’âge de la reliure ni sur l’âge du papier, soit pour les feuillets servant de supports, soit pour les lettres mêmes ; nul doute non plus sur la parfaite conformité des deux écritures, celle de Mme de Maintenon et celle de Mlle d’Aumale, qui assez souvent tient la plume, avec les originaux les plus incontestés de nos dépôts publics. Les renseignemens qu’on peut recueillir sur la provenance de ces volumes concordent parfaitement avec leur aspect extérieur. Ils se trouvaient dès le commencement du siècle dans le cabinet de l’archichancelier Cambarérès, qui les avait achetés pendant la révolution, probablement à la suite du pillage de l’hôtel de Noailles ; ils ont passé de ce cabinet dans celui du neveu de l’archichancelier sans autre vicissitude. Si telles sont la provenance et l’histoire de ces papiers, — et nul ne pourra les contester, — comment les confondre avec des documens fabriqués en vue de certaines circonstances il y a seulement cinq ou six années ?

Qu’aperçoit-on du premier coup d’œil, si l’on vient à vérifier sur ces manuscrits les contradictions signalées d’après l’édition Lavallée ? Une chose très simple et très décisive, que le lecteur a devinée déjà : il y a fort peu de dates originales en tête de ces lettres manuscrites. Suivant l’habitude de son temps, Mme de Maintenon ne datait que d’une manière très incomplète ; tout au plus mettait-elle quelquefois : « Marly » ou « Versailles, ce mardi, » ou plus simplement « ce lundi soir, » ou « vendredi à trois heures, » ou plus rarement « ce 14 juin ; » presque jamais elle n’indiquait l’année. Les dates ne sont jamais entières que lorsque c’est Mlle d’Aumale qui écrit. Toutefois des chiffres d’années se trouvent sur la plupart des lettres comprises dans nos trois registres ; mais ces chiffres sont très visiblement d’une écriture différente et postérieure : ils ont été appliqués après l’exécution matérielle du recueil, car d’une part les lettres ne se trouvent pas ici rangées dans l’ordre chronologique, ce qui eût été sans doute le cas, si elles eussent été datées avant d’être attachées aux feuillets des registres ; d’autre part, en plus d’une occasion, le commencement du millésime est écrit sur le corps de la lettre, et les derniers chiffres empiètent sur la marge que forme le feuillet du volume. Or ces dates, d’une écriture postérieure, sont précisément les mêmes qui se trouvent en tête des lettres publiées au XVIIIe siècle, soit que La Beaumelle, qui a certainement eu connaissance de ces papiers[1], les y ait copiées, soit qu’au contraire un des possesseurs du recueil manuscrit les ait empruntées au livre de La

  1. L’abbé Millot le confirme dans les Mémoires de Noailles.