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des vivans. On le verra narquois avec bonhomie, maussade et mélancolique avec beaucoup de gaillardise humoristique, promener de Paris à Florence et de Florence à Bologne un de ces indifférentismes auxquels les grands hommes peuvent se vouer dans une heure de mécompte, et dont il leur faut ensuite, et coûte que coûte, garder jusqu’à la fin l’attitude devant le monde. Les succès de Meyerbeer et de Bellini, d’Halévy même avec la Juive, furent-ils la cause déterminante de cette abdication morale? On l’a dit. N’a-t-on pas dit aussi que ce fut la perte d’une pension qu’il touchait de la maison du roi et que la révolution de juillet vint supprimer, perte amèrement ressentie, trop amèrement sans doute pour sa gloire? il se peut qu’il y ait eu de tout cela dans sa résolution, à laquelle cette dose de paresse qu’il tenait de la nature contribua bien pour une légère part. « J’ai toujours eu la passion de la paresse, » aimait-il à répéter, et ses quarante opéras ne prouveraient aucunement le contraire, attendu que le travail dont certains grands artistes font la règle et l’observance de leur vie entière peut tout aussi bien chez d’autres, non moins grands et non moins doués, ne se produire qu’à l’état de crise. Toujours est-il que, sous le feu du succès de Guillaume Tell, et sans laisser son inspiration se refroidir, Rossini allait entreprendre d’écrire un opéra de Faust sur un poème dont son librettiste ordinaire, M. de Jouy, avait découpé le scénario d’après Goethe. La révolution de juillet éclate; l’Opéra, d’institution royale, devient une entreprise particulière. Sur ces entrefaites, Rossini avait perdu sa mère; son père, qui ne comprenait pas un mot de français, ne pouvait se faire au séjour de Paris; toutes ces circonstances réunies expliquent comment il fut amené à résilier le contrat par lequel il s’était engagé à livrer encore quatre grandes partitions. « J’avais, disait-il, assez de tout ce bruit, et préférai m’en aller vivre tranquillement dans mon pays avec mon vieux père, dont je réjouirais ainsi du moins les dernières années. Quand elle mourut, j’étais loin de ma pauvre mère, et cela m’avait causé un si profond chagrin, que toute ma crainte était qu’il ne m’en arrivât autant avec mon père. » Bologne avait jadis pourvu à son éducation première : Siena mi fece ! En y retournant, il acquittait une dette de reconnaissance, car, si détaché qu’on soit des pompes de ce monde, il est bien difficile, quand on s’appelle Rossini, de ne pas répandre quelque clarté sur la cité qui vous abrite. A Florence, il eût trouvé la cour, une société cosmopolite, et la politique et les journaux, une sorte de Paris en miniature; mieux lui valait Bologne et ses lycées, dont il surveillerait les études, Bologne et sa coterie d’aimables prélats qui l’aideraient à tuer le temps. Il eut bientôt organisé un orchestre à la manière de celui du Conservatoire. « Toute cette