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même assez; à Naples au contraire, ils n’en voulaient absolument plus, et j’y dus renoncer. » Il est à croire que les Vénitiens à leur tour finirent par s’en dégoûter; renversant un beau soir leur idole, on les vit traiter comme le dernier des misérables cet illustre Simon Mayr, leur triomphateur ordinaire. Rossini aimait à raconter cette aventure, qui l’avait, disait-il, aguerri contre la mauvaise humeur de la foule, et il ajoutait, mêlant à son récit l’anecdote scandaleuse de la première représentation du Barbier : « Peut-on vilipender de la sorte l’homme qui se voue à votre amusement? Si quelques paoli qu’on paie suffisent pour vous donner ce droit, ce n’est en vérité pas la peine de tant prendre à cœur le succès; quant à moi, l’exemple de Simon Mayr sifflé, insulté à outrance par le même public qui la veille le portait alle stelle, m’a servi d’enseignement pour toute ma carrière, et je m’habituai dès lors à me moquer de bien des choses qui ne valent pas les préoccupations qu’elles nous causent. Du reste, c’était ma nature de fuir toute espèce de souci. J’adorais mon père et ma mère et ne me proposais qu’un but : assurer leur existence ; une fois ce but atteint, le diable ne m’eût pas fait sortir de mon indifférence! » Ainsi ce terrible crescendo qu’il n’a seulement pas inventé va lui servir de levier pour remuer le monde. C’est avec ce déchaînement de la sonorité sur une idée toujours la même qu’il ébranlera pour un moment l’édifice des Mozart, des Beethoven. Ne plaisantons pas cependant, car cet effet, reproduit à satiété dans les situations les plus disparates, peut aussi, par éclair, devenir très puissamment dramatique. N’oublions pas le second acte d’Otello et l’immense valeur théâtrale de ces sonorités se superposant à l’arrivée du chœur.

A Vienne, lorsqu’il y vint, porté par son triomphe, Rossini rencontra Beethoven, qui lui tourna le dos, ce qui, dans les façons de ce bourru sublime, signifiait tout simplement : nos voies ne se ressemblent pas, allez de votre côté, jeune homme, je vais du mien. A Paris, l’accueil fait au brillant héros fut moins homérique et plus digne du vaudeville que de l’épopée. Berton, une ganache convaincue, lui décocha ses malins traits, et tandis que Boïeldieu, Hérold, s’inclinaient, le vieil auteur de Montano et Stéphanie, s’entêtant à voir un rival dans ce génie, l’appela monsieur crescendo! Rossini prit le sobriquet fort gaîment, comme il prenait toutes les épigrammes, même quand elles lui tombaient de plus haut, de Cherubini par exemple, un maître, celui-là, avec lequel on ne badinait guère. « M. Rossini, M. Rossini! Quand ce serait M. Mozart, je ne reçois personne ! » avait dit un jour Cherubini, refusant de laisser sa porte s’ouvrir devant le nom magique alors de l’illustre visiteur. Rossini avait trop d’esprit et de savoir-faire pour ne point user de