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sance de ses choristes, attire sur la scène les divers personnages de sa pièce et les fait concerter tantôt séparément, tantôt en masse! Du reste tout dans l’œuvre italienne de cet homme vous renseigne sur sa prodigieuse sagacité. Impossible de parcourir ces pages sans admirer l’industrieuse application de ce maître, de ce génie toujours habile à se prêter aux circonstances, et qui, ravaudant, rajustant la besogne qu’on lui commande, trouve moyen d’y mêler au courant de sa plume des sublimités, comme le chœur des bardes dans la Dona del Lago, le finale de Semiramide et le troisième acte d’Otello, qui déjà et de loin ouvrent à l’œil des horizons sur le grand Opéra de Paris.

De Tancredi à Semiramide, c’est-à-dire pendant toute la durée de sa période italienne, on s’étonne à le voir, avec des élémens si simples et presque toujours les mêmes, varier la couleur et l’expression de ses morceaux. Quelle puissance mélodique il fallait pourtant que cet homme eût en lui, quel irrésistible trésor de rhythmes, pour qu’aujourd’hui, après les Huguenots et Guillaume Tell, on trouve encore un extrême plaisir à entendre le Barbier, et que, sous ce charme où l’enjôleur tient votre esprit, rien ne vous saute aux oreilles, ni de ces modulations toujours analogues, ni des imperturbables ritournelles de l’accompagnement! Et ces ritournelles, la plupart du temps n’étaient même pas siennes; il les prenait au voisin, au passant, comme Molière prenait son bien, avec cette audace effrontée du génie narguant les pauvres gens qu’il dévalise. Combien n’en eut-il pas de ces créanciers commodes toujours prêts à prêter aux riches, et qui disparaissent sans réclamer ce qu’on leur doit! Allez donc maintenant déloger du Barbier tel motif d’Asioli si merveilleusement placé là qu’il semble y être né! Essayez de raconter, après une prescription de trois quarts de siècle, que ce tant célèbre crescendo si applaudi, si critiqué, n’est pas de Rossini, et que cette invention eut pour véritable auteur Simon Mayr, le héros du moment, maître fécond entre tous, à qui Venise seule dut pour sa part quelque chose comme trente-cinq opéras, tous régulièrement marqués du signe de fabrique, et se recommandant à l’enthousiasme du dilettantisme de l’époque par un égal abus de la formule consacrée !

Hors du crescendo point de salut. Dans le bouffe et dans le tragique, on en mettait partout; prétendre écrire une partition sans crescendo eût paru la plus invraisemblable des gageures. « Chacune des différentes villes pour lesquelles je m’engageais à composer avait son goût particulier, ses habitudes, auxquels force était bien de se soumettre. Ainsi à Venise mon crescendo faisait miracle, et je leur en donnais en veux-tu en voilà, quoique j’en eusse moi--