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HISTOIRE DES SCIENCES

Nous dira-t-on que nous avons fait quelque chose d’analogue en présentant Voltaire sous les traits d’un savant ? Nous ne pensons pas qu’il soit utile de nous défendre contre un pareil reproche. Chacun voit bien les réserves que nous avons à faire pour rester dans les limites de la vérité, et nous avons pris soin d’ailleurs de les annoncer dès le début de ce travail. Il nous faut, notre esquisse terminée, estomper un peu toute cette science et la reléguer au second plan dans la vie de Voltaire. Qu’on ne s’y trompe pas cependant, elle est indispensable à la vérité de l’ensemble, et elle donne à Voltaire un de ses traits caractéristiques, sur lequel on n’a peut-être pas toujours insisté suffisamment. C’est là notre excuse pour l’avoir mis aujourd’hui en lumière aux dépens de tous les autres.

L’esprit humain, en somme, a deux procédés principaux, deux méthodes, pour résoudre les questions qui l’occupent dans cette vie. Quand il le peut, il recueille un grand nombre de faits bien observés, bien contrôlés, les réunit patiemment en faisceaux, et parvient ainsi de degré en degré à des lois de plus en plus générales, qui ont pour lui le caractère de certitude le plus élevé auquel il puisse atteindre : c’est la méthode scientifique. Elle ne s’applique pas à tous les sujets avec une égale facilité, et elle ne trouve que bien lentement les matériaux qu’il lui faut mettre en œuvre. Aussi de tout temps l’esprit humain, obligé de résoudre mille problèmes qui le pressent comme Œdipe devant le sphinx, a-t-il adopté des solutions d’instinct, de prime saut, cherchant des points d’appui partout où il en trouvait, dans une expérience sommaire, dans la tradition des siècles, dans nos passions et nos sentimens les plus habituels : c’est là la seconde méthode, qui n’a pas d’appellation bien précise, mais que nous pouvons désigner, pour la facilité du langage, sous le nom de méthode littéraire. Chaque siècle, chaque époque emploie l’une et l’autre méthode dans des proportions différentes, la méthode littéraire cédant le terrain peu à peu à la méthode scientifique ; mais il n’appartient qu’aux génies les plus heureusement doués de les concilier toutes deux et d’en réunir les avantages.

Chacune des méthodes en effet a ses écueils, ses excès. Quelquefois l’esprit des sciences, enivré de ses conquêtes, veut tout soumettre sans délai à son autorité, il regarde comme non avenu ce qu’il n’a pas souverainement décidé ; on le voit alors, enfermé dans quelques solutions étroites, faire de violens efforts pour y ramener l’ensemble des choses. En vain l’homme demande à garder quelque liberté sur les points que la science n’éclaire pas encore et à s’ébattre en plein air hors du strict domaine où tout est déjà prouvé ; on lui défend de pareilles escapades. Restez ici, lui dit-on, et re-