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toute occasion et sous le moindre prétexte de traits peu mesurés. Buffon ne dissimulait pas sa mauvaise humeur ; il s’en expliquait vertement et à tout propos. Lisait-on aux séances de l’Académie française quelque nouvel ouvrage adressé par Voltaire, on voyait Buffon s’agiter sur son fauteuil et témoigner vivement son improbation. En vain des amis communs essayèrent pendant de longues années d’adoucir cette animosité mutuelle. Un incident de famille y mit fin. Buffon envoyait son jeune fils faire le tour de l’Europe pour s’instruire ; le gouverneur du jeune homme eut ordre de le présenter à Ferney. Voltaire, touché de cette avance, écrivit sur-le-champ à son adversaire une lettre émue et cordiale. La paix fut faite à partir de ce jour. Voltaire désarma, et Buffon, sans effacer de son livre le passage que nous venons de citer, en atténua l’effet par une note. « Sur ce que j’ai écrit au sujet de la lettre italienne, dit-il, on a pu trouver, comme je le trouve moi-même, que je n’ai pas traité M. de Voltaire assez sérieusement. J’avoue que j’aurais mieux fait de laisser tomber cette opinion que de la relever par une plaisanterie, d’autant que c’est peut-être la seule qui soit dans mes écrits… On m’apporta cette lettre italienne dans le temps même que je corrigeais la feuille de mon livre où il en est question. Je ne lus cette lettre qu’en partie, imaginant que c’était l’ouvrage de quelque érudit d’Italie qui, d’après ses connaissances historiques, n’avait suivi que son préjugé sans consulter la nature, et ce ne fut qu’après l’impression de mon volume sur la Théorie de la terre qu’on m’assura que la lettre était de M. de Voltaire. J’eus regret alors à mes expressions. Voilà la vérité ; je le déclare autant pour M. de Voltaire que pour moi-même et pour la postérité, à laquelle je ne voudrais pas laisser douter de la haute estime que j’ai toujours eue pour un homme aussi rare et qui fait tant d’honneur à son siècle. »


IV.

Si maintenant nous passons de la physique du globe à celle des êtres vivans, nous trouverons toujours Voltaire en défiance contre les utopistes qui prétendent expliquer les secrets de la nature. Sur les différentes questions que nous allons d’abord rencontrer, celle des générations spontanées, celle des germes. Voltaire a d’ailleurs des opinions tout à fait conformes à celles que professe la science officielle de nos jours. Après lui, quelques faits se sont éclaircis, quelques détails se sont précisés ; mais de prime abord il a pris le bon parti, s’il faut en croire nos savans les plus autorisés.

La question des générations spontanées est fort ancienne ; c’est