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rer que tout est pour le mieux dans le monde. Kœnig, pour établir l’opinion de son maître, citait un fragment de lettre où celui-ci formulait le principe de la moindre action pour en contester la généralité. En voyant produire sous le nom de Leibniz ce qu’il regardait comme son œuvre propre, Maupertuis ne se sent point de colère ; il accuse Kœnig d’avoir forgé à plaisir la lettre de Leibniz, il le somme de produire la pièce originale. Kœnig répond qu’il n’en a qu’une copie, que l’original est entre les mains d’un autre élève de Leibniz, le vieux Henzi, retiré en Suisse. On cherche ce savant, il était mort, et ses papiers étaient dispersés. Maupertuis triomphe alors ; il assemble l’académie de Berlin, dont Kœnig était membre correspondant, et le fait rayer de la liste des académiciens après l’avoir fait déclarer « faussaire en philosophie. »

C’est ici que Voltaire intervient dans la querelle ; ce n’est pas qu’il fût resté en fort bons termes avec Kœnig, ni qu’il eût une opinion bien arrêtée sur la moindre action ; mais il était irrité contre Maupertuis, et il saisit l’occasion de lui déclarer la guerre en prenant vivement la défense de Kœnig. Son premier acte d’hostilité fut la fameuse Diatribe du docteur Akakia, où il tournait en ridicule les idées et les ouvrages de Maupertuis. Frédéric lui-même descendit alors dans la lice ; il prit ouvertement parti pour le président de son académie ; il rédigea d’abord des brochures pour le défendre, puis, recourant à des moyens plus despotiques, il fit brûler la Diatribe du docteur Akakia par la main du bourreau (24 décembre 1752). Voltaire put assister à cette exécution de la fenêtre d’une maison de Berlin, où il était venu s’établir pour fuir le séjour de Potsdam.

Cette diatribe, qui causa tant d’émoi à Berlin, et qui eut un si grand succès dans toute l’Europe (le premier jour où elle fut mise en vente à Paris, on en débita six mille exemplaires), nous paraît un pamphlet des plus médiocres, maintenant que nous la lisons en dehors des passions du moment. La forme en est froidement plaisante, et le fond ne rachète pas ce défaut. Le docteur fait une course vagabonde à travers les œuvres et les opinions scientifiques de Maupertuis sans montrer un jugement bien sûr ; préoccupé de tourner tout en ridicule, il ne sait pas réserver son ironie pour ce qui la mérite réellement. Tant qu’il attaque directement le caractère de son ennemi, les traits portent juste et ferme. Il flétrit la conduite de Maupertuis dans l’affaire Kœnig, dévoile les procédés d’intimidation dont il a usé pour arracher à l’académie de Berlin un jugement aussi injuste que bizarre, et dénonce les lettres qu’il écrivait à la princesse d’Orange pour obtenir qu’elle imposât silence à son bibliothécaire. Il signale l’humeur insociable de Maupertuis,