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HISTOIRE DES SCIENCES

jours admis. Le président de l’académie de Berlin entreprit de miner sourdement le crédit de son brillant rival. Il excita d’abord contre lui le jeune La Beaumelle, qui vers la fin de 1751 venait d’arriver de Copenhague à Berlin dans l’intention d’y chercher fortune. La Beaumelle commença dès lors contre Voltaire ces attaques incessantes, qui se continuèrent longtemps après, et qui ont fini par donner à son nom une certaine célébrité ; mais la guerre éclata bientôt directement entre Voltaire et Maupertuis, et l’occasion de leur rupture fut une discussion d’ordre essentiellement scientifique. C’est un principe géométrique, le principe de la moindre action, qui mit le feu aux poudres.

Maupertuis avait formulé depuis quelques années un théorème auquel il attachait une importance extrême, et dont il voulait faire le fondement de la mécanique. Ce théorème est resté dans la science, mais sans conserver l’importance et la généralité qu’il lui attribuait. Si l’on considère un ensemble de points matériels soumis à des forces diverses, on peut se demander quelle est la somme du travail mécanique que les diverses parties du système accomplissent pendant que le système entier passe d’une position à une position voisine. Maupertuis, en se posant ce problème, trouvait que le travail mécanique ainsi développé est toujours dans la nature le plus petit qu’il puisse être. Il en concluait que la nature « va à l’épargne, » c’est-à-dire qu’elle emploie pour ses opérations un minimum d’action. Présenté sous cette forme générale, le théorème de Maupertuis était fait pour frapper les géomètres. Il semblait qu’on eût pris sur le vif le secret de la mécanique naturelle. Dans le temps où Maupertuis était le plus fier de sa découverte, il se trouva un adversaire qui vint la lui contester. C’était un disciple de Leibniz, le professeur Kœnig, ancien hôte de Cirey, et le propre maître de Mme  du Châtelet en philosophie leibnizienne. Kœnig, alors retiré à La Haye, où il était bibliothécaire de la princesse d’Orange, publia dans le Journal de Leipzig, au mois de mars 1752, une dissertation où il réduisait à sa véritable valeur le principe de la moindre action. Il montrait qu’il n’y avait point là une loi générale, qu’il fallait, pour que le principe fût vrai, faire certaines hypothèses sur la nature des forces appliquées aux points matériels, et qu’on ne retrouvait en définitive dans les résultats que la conséquence évidente de ces hypothèses primitives. Leibniz, au dire de Kœnig, avait connu ce principe de moindre action, mais il avait su le réduire aux cas spéciaux où il est applicable, et il avait pris soin de prémunir les géomètres contre l’entraînement de cette doctrine. Or c’était là une précaution caractéristique de la part du philosophe qui faisait profession de décla-