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grand jour en société secrète, et le défenseur du peuple en assassin des rois.

En Belgique, les hommes du congrès de 1830, moins hantés par les souvenirs de 93 et plus frappés des avantages du régime anglais et américain, ont eu le courage d’inscrire toutes les libertés dans le pacte fondamental, s’interdisant ainsi tout retour offensif contre elles. Les saint-simoniens étant venus ouvrir un club à Bruxelles en 1830, certains défenseurs de la famille, de la religion et de la propriété voulurent s’y opposer. Deux députés catholiques, M. Vilain XIIII et l’abbé Andries, proclamèrent, aux applaudissemens de l’assemblée, qu’il fallait que la liberté fût entière pour toutes les opinions, et le chef de la police promit de la faire respecter. En 1831, des excès eurent lieu dans différentes villes ; quand il s’agit de faire adopter le traité des dix-huit articles, qui devait sauver la Belgique, une association puissante qui avait des ramifications dans tout le pays, une presse déchaînée, les républicains, les orangistes, exaspérés, prêchaient l’insurrection à l’intérieur, la guerre au dehors. Même en ce moment de péril suprême, nul ne réclama des lois répressives. Les gens sensés luttèrent partout avec l’énergie que donne le sentiment de la responsabilité. Au sein du congrès, quelques orateurs, M. Lebeau surtout, parvinrent à changer l’opinion par la puissance de leur parole animée du patriotisme le plus sensé et le plus pur. Le pays fut sauvé, et, en récompense de ces épreuves virilement traversées, il a conservé intact le trésor de ses droits.

Qu’on se le persuade bien, dans un pays longtemps asservi, la liberté ne peut prendre racine qu’après plusieurs années de troubles et de luttes. Ceux qui en ont été privés ne manquent pas d’en faire d’abord mauvais usage. Si la bourgeoisie ne peut supporter cette crise et demande au gouvernement de rétablir le calme pour rendre aux affaires l’activité habituelle, jamais un régime stable ne pourra s’établir. Bientôt la compression qu’elle a sollicitée la gênera elle-même, et le bras fort qu’elle a invoqué l’irritera. Ses alarmes oubliées, elle se remettra dans l’opposition, et finira par renverser le pouvoir lié de ses terreurs ; puis, l’œuvre de destruction accomplie et le spectre de 93 ou du socialisme se dressant sur les ruines, la panique reprendra, et ce sera à recommencer. Pour échapper à ce cercle vicieux, il faudrait se ceindre les reins et s’apprêter à tout supporter, sauf les attaques à main armée, dont on serait toujours sûr de venir à bout, car, lorsqu’on accorde liberté à tous, nul n’a plus ni droit ni prétexte à employer la violence.

Les clubs attaqueront la propriété, mais qu’a-t-elle à craindre dans un pays où les propriétaires sont en majorité ? la religion, mais l’histoire montre qu’elle se fortifie et se purifie dans l’épreuve ;