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qu’il était l’oncle de la reine Victoria ou l’ami des hommes d’état anglais, mais parce que l’Angleterre, puissance insulaire, était la seule qui, victorieuse, ne saurait être tentée de s’annexer le territoire de l’alliée qu’elle viendrait de sauver. Des événemens récens nous ont montré comment des états indépendans peuvent être définitivement effacés de la carte de l’Europe en moins de huit jours. Quand l’affaire est faite, il est trop tard pour en appeler. Le XIXe siècle n’a plus goût aux revenans. « La Belgique, écrivait Léopold dès 1850, est, par sa position géographique, le pays le plus exposé de la terre. Là où d’autres pays ont des mois pour se préparer, elle a des jours. » C’est afin de transformer ces jours en mois que le roi voulait un grand réduit fortifié à l’abri d’un coup de main.

Pour obtenir les moyens de défense qu’il jugeait indispensables, Léopold, pendant quinze ans, n’a épargné aucun effort. Il stimulait le zèle de ses ministres par des lettres continuelles, et il ne perdait aucune occasion pour ramener à ses idées les membres du parlement et l’opinion du pays. « Je suis parfaitement désintéressé dans cette grave question qui peut compromettre l’avenir du pays, écrivait-il au ministre de l’intérieur, M. Rogier. Je n’ai jamais fait de l’armée, comme cela se voit dans beaucoup d’autres pays, un amusement personnel, malgré le vif intérêt que les choses militaires m’inspirent ; mais je vois en elle, comme M. Thiers me le disait il y a peu de mois, l’indépendance de la Belgique. Sans bons moyens de défense, vous serez les jouets de tout le monde. » C’est à cette occasion qu’il posa le seul acte où on peut lui reprocher d’avoir trop engagé la responsabilité de la couronne. Les habitans d’Anvers étaient très mécontens des fortifications qu’on élevait autour de leur ville, quoiqu’on construisît à grands frais précisément la grande enceinte que leurs représentans avaient réclamée. L’agitation était très vive et prenait même parfois un caractère séditieux. En 1861, le conseil communal résolut de présenter au roi une adresse pour réclamer contre l’exécution des plans adoptés. La pratique correcte du régime parlementaire aurait exigé que le roi leur répondît : Ce n’est point à moi, c’est aux chambres qu’il faut vous adresser ; je suis un monarque constitutionnel, je n’ai pas le droit de modifier les résolutions des chambres, car je ne pourrais le faire que par un coup d’état. — Le conseil communal d’Anvers suivait l’exemple de ce qui se fait en France avec raison, parce que là en effet, d’après la constitution, c’est l’empereur qui gouverne ; mais jamais en Angleterre nul n’a songé à demander à la reine qu’elle arrête la mise en vigueur d’une loi régulièrement votée. Au lieu de profiter de la circonstance pour donner au pays une nouvelle leçon de droit constitutionnel, le roi préféra apporter dans le débat le poids de son