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Suisse ou la ravissante villa Julia qu’il possédait aux bords du lac de Côme, et dont les splendides camélias en pleine terre faisaient son orgueil. Les ministres, profitant souvent aussi de ces vacances pour voyager de leur côté, la Belgique semblait arriver à cet état d’anarchie vantée par Proudhon comme la perfection du gouvernement que l’avenir nous réserve. En 1864 éclata une crise ministérielle qui dura plus de quatre mois. Aucun des deux partis n’avait dans les chambres une majorité assez forte pour exercer le pouvoir avec dignité. C’était à qui des catholiques et des libéraux mettrait le plus de persévérance à décliner l’honneur d’accepter le portefeuille. Le roi se rendit lui-même chez le prince de Ligne, président du sénat, pour lui demander de former un ministère de conciliation ; mais, le prince ayant déclaré qu’une semblable combinaison n’avait aucune chance de succès, Léopold partit pour l’Angleterre et y resta tout un mois. Il voulait sans doute laisser au parlement et aux partis eux-mêmes la responsabilité de la situation et le soin de trouver une issue à l’impasse dans laquelle ils s’étaient engagés. C’est ainsi qu’une nation acquiert le sang-froid, la sagesse et l’esprit de suite, qualités qu’exige la pratique du gouvernement parlementaire.

Vers la fin de son règne, dans une conjoncture bien plus grave qu’en 1847, Léopold eut encore une fois l’occasion de montrer quel doit être le rôle d’un souverain constitutionnel. En 1857, le ministère catholique alors au pouvoir présenta un projet de loi destiné à donner plus de consistance aux établissemens de bienfaisance, et que les libéraux appelèrent la loi des couvens, parce que, disaient-ils, elle aurait pour résultat d’en multiplier rapidement le nombre, déjà beaucoup trop grand. Le roi Léopold ne semble pas avoir été frappé de ce danger. Il désirait qu’une grande latitude fût laissée à la bienfaisance, et il ne distinguait pas le droit individuel de l’aumône, que personne ne conteste, du droit de fonder des établissemens publics et de créer des corporations permanentes, qui ne doit appartenir qu’au pouvoir législatif. C’est dans ce sens du moins qu’il touchait à la question dans une lettre adressée à M. de Haussy en 1849, où il dit : « Les deux pays où le régime constitutionnel se trouve le mieux entendu, l’Angleterre et les États-Unis d’Amérique, ne mettent aucune entrave aux actes de bienfaisance des particuliers. » Un des hommes qui ont apporté dans l’étude de ces questions le plus de sûreté de coup d’œil et le plus de passion pour la vérité, M. Frère-Orban, ayant eu probablement connaissance des opinions du roi, s’efforça de les redresser en exposant d’une manière complète, dans un livre intitulé la Mainmorte et la Charité, la législation des États-Unis et de l’Angleterre, laquelle est très différente de l’idée que l’on s’en fait généralement.