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scientifique de Voltaire. Cet exposé remplit la troisième et dernière partie des Élémens de philosophie de Newton. Sans avoir poussé l’étude de la géométrie et de l’analyse mathématique aussi loin que Mme du Châtelet, Voltaire en avait appris assez pour pouvoir suivre la pensée de Newton et pour la traduire fidèlement[1]. Ce n’était pas là une œuvre inutile, car, même parmi les savans, il y avait alors bien peu de gens qui eussent une idée nette de l’attraction, et qui comprissent exactement la nature des problèmes que Newton avait résolus dans une vaste synthèse. Les indications données par Voltaire furent décisives. La publication de son livre assura le triomphe définitif du newtonianisme et la ruine de la physique cartésienne.

Les élémens dont Newton avait pu disposer étaient d’une part les trois grandes lois astronomiques proclamées par Kepler et de l’autre les lois de la chute des corps découvertes par Galilée. Voltaire rapporte, conformément à la tradition, que Newton, retiré à la campagne pendant l’année 1666, vit une pomme tomber d’un arbre, et que, sa pensée s’étant alors dirigée vers le système du monde, il conçut l’idée que cette force qui attirait les corps vers la surface du sol était aussi celle qui faisait tourner la lune autour de la terre et les planètes autour du soleil. Combinant alors les lois de Kepler, il s’éleva au principe d’où elles dérivent toutes les trois. Chaque planète est soumise à une attraction constamment dirigée vers le soleil, et qui varie en raison inverse des carrés des distances. Il établit en outre que toutes les planètes, à masses et à distances égales, devaient être attirées de la même façon par le soleil. La

  1. On a signalé, dans un recueil de lettres inédites de Voltaire imprimées pour la première fois en 1856, une lettre adressée à Pitot de Launay, de l’Académie des Sciences, et qui montre qu’à l’époque où elle fut écrite (1736) Voltaire n’était encore qu’un écolier médiocre en géométrie. « Il faut, monsieur, dit-il à son correspondant, que je vous importune sur une petite difficulté. Mme la marquise du Châtelet me faisait, il y a quelques jours, l’honneur de lire avec moi la Dioptrique de Descartes ; nous admirions tous deux la proportion qu’il dit avoir trouvée entre le sinus de l’angle d’incidence et le sinus de réflexion ; mais en même temps nous étions étonnés qu’il dît que les angles ne sont pas proportionnels, quoique les sinus le soient. Je n’y entends rien ; je ne conçois pas que la mesure d’un angle soit proportionnelle et que l’angle ne le soit pas. Oserai-je vous supplier d’éclairer sur cela mon ignorance ? » Voltaire, comme on voit, ne savait pas alors ce que c’est qu’un sinus, puisqu’il regardait les sinus comme proportionnels aux angles. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’à cette époque même (1736-1738) il compléta son instruction géométrique, et apprit ce qu’il avait besoin de savoir. Quant à Mme du Châtelet, on éprouve quelque étonnement à voir qu’à ce moment, jouissant déjà d’une réputation de géomètre, elle ne fût pas en état de lever une pareille difficulté ; mais remarquons que ce n’est point elle qui consulte Pitot. Peut-être Voltaire fait-il ici quelque confusion, et nous présente-t-il la marquise comme plus ignorante qu’elle n’était.