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affolé de gloire militaire, avide de domination extérieure, fasciné par les coups de la force, plein d’admiration pour un gouvernement tout-puissant, plié à l’obéissance non par l’empire des lois, mais par le bras de fer d’un soldat, c’est-à-dire très mal préparé à supporter un gouvernement pacifique ou à fonder par lui-même un gouvernement libre. Léopold au contraire a eu ce rare mérite de permettre à une nation de se gouverner elle-même et d’introduire sur le continent une institution plus favorable à la grandeur politique des peuples que la vapeur et l’électricité ne le sont à leur bien-être, je veux dire le régime parlementaire, entendant par là le régime où les affaires d’un pays sont administrées par un ministère responsable devant une assemblée librement élue, ce qui n’est rien moins que le règne de la parole et la condition de toute liberté. L’excellence d’un gouvernement se mesure, a dit très bien M. Stuart Mill, à la somme de qualités morales et intellectuelles qu’il répand dans la nation. Un gouvernement qui rend les hommes aptes à se diriger eux-mêmes est bon ; celui qui les rend impropres à se conduire seuls est mauvais, car, pour n’obéir qu’aux lois qu’ils font eux-mêmes, il leur faut plus de prévoyance, plus, de vertu, plus de sagesse, que pour obéir à un maître.

Au moment où le régime parlementaire est introduit dans des états nouveaux comme la Grèce, l’Italie, la Roumanie, la Serbie, et semble avoir quelques chances de s’implanter dans des états anciens, comme l’Autriche, la Prusse, la France ou même l’Espagne, il peut être utile d’examiner à quelles conditions ce régime a heureusement fonctionné en Belgique pendant un temps qui paraît long au milieu de tant et de si profonds bouleversemens. L’examen de la vie du roi Léopold nous aidera à faire cette étude. Les événemens de son règne avaient déjà été racontés avec talent, au point de vue libéral, par M. Hymans, écrivain d’esprit, auteur d’une histoire de Belgique appréciée en France même non moins que dans son pays, et au point de vue catholique par M. Thonissen, professeur à l’université de Louvain. Récemment un historien belge dont l’impartialité n’est contestée par personne vient de publier, d’après des documens inédits, une très intéressante biographie du roi Léopold, qui, sans nous introduire encore dans l’intimité de ce souverain, nous permet cependant de saisir l’ensemble de sa carrière. Notre but n’est pas de la retracer à notre tour ; nous voudrions seulement montrer comment le premier roi des Belges a compris ce rôle difficile de monarque constitutionnel. Pour le détail des faits, nous renvoyons aux ouvrages que nous venons de citer.