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sereine adoucit quelque peu le lugubre tableau d’un supplice inutile. Le supplicié s’est endormi dans la paix éternelle, et cette paix, il l’a vraiment conquise, au prix de quelles tortures, nous ne l’avons dit qu’à moitié !

Figure modeste, originale et attachante, il était d’étoffe héroïque sans s’en douter. L’aurait-il su, il n’eût pas fait semblant. Jamais personne ne s’est moins mis en étalage et n’a laissé plus large place aux autres. Avait-il jamais dit, même à ses plus intimes, que dès sa première jeunesse, auditeur au conseil d’état et chargé de la trésorerie de l’armée, sa présence d’esprit, son courage sur le champ de bataille de Hanau, au moment où la défection bavaroise allait enlever les fourgons confiés à sa garde, lui avaient valu cette croix d’honneur qu’il portait depuis 1815. Toujours enclin à s’effacer, malhabile à se faire valoir, personne au fond n’était plus désireux de plaire et plus aimable à l’occasion. Contrairement à la plupart des hommes, il devenait plus sociable et plus accommodant aux goûts de la jeunesse à mesure qu’il vieillissait. C’est à soixante-dix ans qu’il fit la découverte que la musique pouvait servir à son bonheur, et qu’il devint mélomane assidu. Il est vrai qu’il était bien tombé pour son apprentissage : Rossini l’avait pris en sérieuse affection. Dans ces concerts improvisés où les plus grands talens, par courtoisie pour le génie, se livraient à des inspirations presque inconnues ailleurs, nul n’arrivait plus tôt et ne partait plus tard que M. Joseph Perier. Il avait pourtant un émule, aussi fidèle et non moins diligent : c’était Berryer. Presque toujours à côté l’un de l’autre, dans le même coin de ce salon, ils laissaient voir comme à l’envi, à des signes bien différens, les douces joies dont leurs cœurs étaient pleins. Par quelle étrange et touchante harmonie tous deux, à si court intervalle, devaient-ils suivre dans la tombe celui d’où leur était venue cette source privilégiée de délicates émotions ?

Dernier survivant de huit frères qui tous avaient adopté comme la meilleure part de l’héritage paternel les souvenirs de Vizille, première illustration de leur race, premiers échos de la liberté légale en France, M. Joseph Perier ne fut pas étranger à la vie politique. Sans s’y donner avec l’ardeur qui a fait la gloire et abrégé la vie du plus illustre de ses frères, longtemps dans nos assemblées il a tenu une honorable place. Il y portait la fermeté, la sûreté, la loyauté de son noble caractère, ennemi né des partis équivoques, imperturbablement fidèle à ses principes et à ses amis, modèle achevé du conservateur libéral, cet élément indispensable, et trop rare parmi nous, du vrai gouvernement libre. Jamais il ne chercha l’éclat, mais sans l’avoir voulu, par cette mort stoïque et chrétienne, le voilà qui s’est illustré, laissant un grand exemple, une leçon féconde, nous l’espérons, à ses contemporains, et en particulier aux deux générations qui le suivent, chargées de perpétuer les traditions de sa famille et l’honneur de son nom,


L. VITET.